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"Madre", "El Reino"... Rodrigo Sorogoyen, le nouveau maître du thriller espagnol

Le réalisateur Rodrigo Sorogoyen et l'actrice Marta Nieto sur le tournage de
Le réalisateur Rodrigo Sorogoyen et l'actrice Marta Nieto sur le tournage de

Son nom n'est peut-être pas aussi connu que ceux de Pedro Almodóvar, d’Alejandro Amenábar, de Juan Antonio Bayona ou d’Álex de la Iglesia. Pourtant, en l'espace de cinq ans, Rodrigo Sorogoyen s'est imposé comme le nouveau maître du thriller espagnol.

Il a été remarqué pour la première fois en 2016, avec Que Dios nos perdone. Ce polar poisseux avec en toile de fond le mouvement des "Indignés" et la visite de Benoît XVI à Madrid en 2011 raconte l’enquête de deux policiers chargés d’arrêter un tueur en série. Une course poursuite haletante où les forces de l’ordre ne se révèlent guère différentes du criminel qu’elles pourchassent.

En 2018, Rodrigo Sorogoyen a confirmé les espoirs placés en lui avec El Reino. Ce thriller dénonçant la corruption politique en Espagne met en scène la progressive descente aux enfers d’un homme impliqué dans un scandale au moment où il doit entrer à la direction nationale de son parti. Lâché par ses alliés, il organise seul sa défense, au risque de devenir fou.

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Tous les deux portés par Antonio de la Torre (Volver, La Isla mínima), Que Dios nos perdone et El Reino ont impressionné la critique et le public par leur inventivité, malgré des budgets minuscules, oscillant entre 2 et 3 millions d'euros. Le succès venant - ses deux derniers films cumulent en France et en Espagne plus de 800.000 spectateurs - Rodrigo Sorogoyen revient ce mercredi 22 juillet avec Madre, son projet le plus ambitieux à ce jour.

Entre thriller et mélodrame, Madre est l'adaptation d’un court-métrage de Sorogoyen nommé aux Oscars en 2018. Le film débute avec un plan séquence de dix-sept minutes où une mère, Elena (Marta Nieto), vit au téléphone l'enlèvement de son fils. Cette scène choc, qui plonge le public dans la détresse d’une mère, donne le ton d'un film qui ne lâche jamais son personnage ni le spectateur jusqu'à la résolution finale. L'intrigue se déroule dix ans après cette scène inaugurale. La mère, désormais installée dans les Landes, en France, travaille dans une restaurant. Un jour, elle rencontre un adolescent qui lui rappelle son fils disparu.

Les zones d'ombres de la société

Chaque film de Rodrigo Sorogoyen se démarque par sa noirceur. Le réalisateur est attiré par les zones d'ombres de la société. Il aime placer le spectateur dans des situations inconfortables et brouiller les pistes au point où certains de ses personnages peuvent paraître sympathiques malgré une morale douteuse.

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Sorogoyen voit dans ses films, qui racontent mieux l'Espagne contemporaine qu'un article de journal, "la réponse à beaucoup de questions que l’on se pose": "Ce sont des aspects de notre société que nous ne voulons pas voir, parce que ce n’est pas confortable, mais je crois que nous devons les regarder en face et les accepter. L’objectif de ces films est de regarder ces zones d'ombre, de vivre avec elles pendant une heure et demie ou deux heures."

En bon maître du thriller, Rodrigo Sorogoyen préfère les films aux interprétations multiples et les fins ouvertes. "C’est une manière d’inviter le spectateur à échanger avec le film. Si on y arrive, on a gagné. Si on oublie le film qu’on vient de voir, c’est un échec." Madre, de ce point de vue-là, est inoubliable, en partie grâce à l'habilité de Sorogoyen à instaurer un malaise que l'on croyait jusqu'à présent réservé au cinéma sud-coréen (Old Boy, Parasite). Madre, il faut le dire, est très différent de ce qui se fait habituellement en Espagne:

La cinématographie espagnole n’est pas très riche", confirme le réalisateur. "C’est très difficile d’avoir des financements et des aides pour des films comme Madre. Je regarde la cinématographie française avec beaucoup d’envie. Vous faites des films bons, moyens ou horribles, mais vous, au moins, vous en faites dans tous les genres. En Espagne, on doit faire soit des thrillers d’action, soit des comédies. Et Madre, ce n’est ni l’un ni l’autre."

"Raconter la vérité, la vie"

L'étiquette de maître du thriller gêne ce réalisateur de 38 ans, qui essaye depuis ses débuts d'échapper au diktat des genres: "Stockholm (2013), mon premier film, n’est pas un thriller classique. Il y a du suspense, mais c'est aussi un film sur les personnages et leurs sentiments. Dans le cas de Que Dios nos perdone et d'El Reino, c’est circonstanciel. Avec Isabel Pena, ma co-scénariste, on s’est dit qu'il était plus facile d'utiliser le genre du thriller pour raconter ces histoires et surtout trouver des financements en Espagne."

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Rodrigo Sorogoyen a commencé sa carrière en 2008, à la télévision, avec des budgets minuscules, avant de réaliser en treize jours avec seulement 60.000 euros Stockholm. Il a appris depuis ses débuts à se montrer inventif pour retenir l'attention du public. Une de ses marques de fabrique est le plan-séquence, qu'il utilise le plus souvent lors de scènes de forte tension: "C’est une manière de raconter des histoires que j’adore. Il faut que ça ait du sens, mais je crois que c’est la meilleure manière pour raconter la vérité, la vie."

Ses films, composés de plans séquences très impressionnants, où la caméra semble aussi libre que les personnages prisonniers de leur destin, respirent la vérité et la vie. Rodrigo Sorogoyen travaille sans storyboard, surtout pour les plans séquences - mais jamais à l’instinct. Il lui suffit de connaître le lieu où il tournera: "Avec mon directeur de la photographie, on s’amuse beaucoup à imaginer ces plans. J’ai beaucoup de chance d’avoir mon équipe. Je leur demande beaucoup de choses difficiles et ils s’en emparent avec plaisir."

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Ces scènes ont assuré le succès de ses films. Madre contient plusieurs séquences très impressionnantes. Rodrigo Sorogoyen a filmé un séquence d'une dizaine de minutes à l’iPhone dans une voiture filant à toute vitesse sur une route landaise. Une manière pour lui de questionner le rôle des images qui nous assaillent au quotidien, tout en nous faisant craindre pour la vie d'une héroïne au destin pathétique.

Dans ses films, Rodrigo Sorogoyen a l’habitude de suivre un ou plusieurs personnages et de ne jamais les lâcher. Son prochain film remettra en cause ce fondement de son cinéma: "Jusqu'à présent, j'ai raconté mes histoires de l’intérieur. Je ne veux pas abuser de ça et pour mon prochain film je veux expérimenter d’autres choses." Le pitch reste pour l'heure secret, mais nul doute qu'il devrait se révéler surprenant. En attendant, il dévoilera dans les prochains mois Antidisturbios, une mini-série sur les violences policières en Espagne.

Article original publié sur BFMTV.com