Même après une séparation, les mères ne peuvent pas divorcer de la charge mentale liée aux enfants
CHARGE MENTALE - « Si on m’avait dit que la charge mentale à l’origine de mon divorce impacterait aussi ma vie après la séparation, j’aurais réfléchi à deux fois avant de me marier. » Quand Rachel a divorcé il y a quatre ans de son ex-conjoint, elle espérait encore que ce dernier prendrait pleinement à cœur son nouveau rôle de papa solo en s’occupant tout autant qu’elle de leurs deux enfants de 6 et 8 ans.
D’autant plus que la séparation s’est déroulée dans un climat relativement apaisé et que la mise en place d’une résidence alternée a été conjointement décidée. « Naïvement, j’ai cru que ça allait rééquilibrer un peu les rôles. » Mais la mère de 41 ans a rapidement déchanté. « J’ai continué à m’occuper de tout ce qui concerne les enfants sans qu’il ne voit où est le problème. »
Un déséquilibre renforcé par la séparation
« Je gère seule tous les aspects liés à notre fils : les rendez-vous médicaux, la gestion des activités extrascolaires, les devoirs, les inscriptions, ainsi que toutes les autres tâches administratives ou éducatives », énumère pour sa part Claire, mère solo de 48 ans. Pour elle, la tâche est d’autant plus lourde que son fils de 12 ans a été diagnostiqué autiste lorsqu’il en avait deux. Et même avant la séparation, elle n’a pas eu le sentiment d’être beaucoup aidée par celui qui était alors son compagnon. « Il assistait aux rendez-vous obligatoires, mais toute la gestion de l’accompagnement médical, l’intendance à la maison et la prise en charge de nos enfants reposaient sur moi, insiste Claire. Après notre séparation, je n’espérais rien, mais j’ai tout de même été déçue », ajoute-t-elle, amère.
Pour Sandrine non plus, « rien n’a changé » après sa séparation, survenue en 2019. « C’est comme si notre enfant n’avait pas de père dans sa vie quotidienne. Les responsabilités et la charge mentale associée reposent essentiellement sur moi, tout comme les charges financières. »
Comme le note Agnès Martial, anthropologue et directrice de recherche au CNRS, coautrice avec Jérôme Courduriès de La famille à l’œil nu (CNRS éditions), cela n’a rien d’étonnant car « une séparation ne rebat jamais complètement les cartes » de la redistribution des tâches entre les parents et ce, même s’il s’agit d’un événement qui place les hommes en situation de s’investir davantage. « Même si on observe une réelle progression de l’implication des pères dans la prise en charge des enfants, on note qu’elle ne suffit pas à renverser le déséquilibre, constate Agnès Martial. Les mères restent, quelle que soit la configuration parentale, celles qui portent la responsabilité et la charge de l’éducation des enfants. »
Aux pères les temps de jeux, aux mères tout le reste
L’implication des pères n’est cependant pas la même suivant le mode de garde choisi, souligne l’anthropologue. Si les pères qui prennent leur enfant un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires préfèrent s’impliquer avant tout dans les jeux et les sorties, la résidence alternée change la donne puisqu’elle implique un partage équitable du temps parental. « Ils doivent alors accomplir toutes les petites tâches du quotidien pas toujours gratifiantes. Préparer le repas, s’occuper du linge, des devoirs… », énumère Agnès Martial.
Pas de quoi néanmoins soulager durablement les mères. Car si les nouveaux papas solos veillent bien à ce que leurs enfants se brossent les dents le soir et fassent leurs devoirs quand c’est « leur semaine », c’est encore à elles de ne rien oublier et de tout anticiper. Prise des rendez-vous médicaux, inscription à la cantine ou au centre de loisirs, mémorisation des dates de vacances scolaires, prévision des achats de vêtements d’été… « Toutes ces petites choses auxquelles il faut penser au bon moment restent très largement assignées aux mères, dans les couples unis aussi bien que séparés », rappelle Agnès Martial.
Épingler son « ex en carton » pour faire bouger les mentalités
Cette charge mentale post-séparation n’a rien de négligeable. Il suffit de faire un tour sur le compte Instagram « La magie de ton ex » pour s’en rendre compte. Chaque semaine depuis 2020, Véronique y publie quotidiennement des échanges que des parents séparés ont eus avec leur ancienne moitié. Et les captures valent clairement le coup d’œil. Entre le père qui découvre que son enfant est en classe de CE2 et celui qui sollicite son ex-compagne pour connaître le temps de cuisson des coquillettes, on ne sait plus trop si on doit en rire ou en pleurer.
Et même si Véronique veille à ne pas genrer les messages qu’elle reçoit, elle reconnaît volontiers qu’« il y a beaucoup plus de pères qui se reposent sur les mères pour gérer la logistique, la paperasse et toutes les tâches pénibles de la gestion des enfants ». Les chiffres ne trompent pas : sa communauté de 62 500 abonnés est composée de 89 % de femmes, qui lui adressent une trentaine de captures par jour. Et ces dernières ont presque toujours les mêmes sujets. « La scolarité, les rendez-vous, les histoires d’agenda… C’est à se demander comment font les hommes pour se souvenir qu’il y a un match jeudi à 21 heures, mais pas de la réunion avec la maîtresse », s’interroge Véronique, qui a bien conscience que, derrière l’humour des messages, se cache un « sujet sérieux » qui pénalise avant tout les femmes et les enfants. « Il n’y a pas un jour où je ne reçois de messages de femmes qui me disent que grâce au compte, elles se sentent moins seules car elles aussi ont un ex en carton. »
Que faire alors, pour que les femmes arrêtent d’être plombées par la charge mentale post-séparation ? Pour Agnès Martial, c’est toute notre société qui doit « réfléchir à la façon dont on sollicite les mères et les pères, à quelles responsabilités on les assigne dans l’éducation des enfants ». Pourquoi, par exemple, appeler systématiquement la mère plutôt que le père, quand un enfant est malade à l’école ou à la crèche ?
Cela ne doit cependant pas dédouaner les pères qui se complaisent à cette place secondaire de prendre leurs responsabilités. « Les premiers qui peuvent changer cet état de fait, ce sont les hommes eux-mêmes, en s’impliquant davantage auprès de leurs enfants. Mais il faut aussi accompagner cette évolution et la soutenir. » Un avis que partage Claire, qui rappelle que « s’occuper de son enfant, ce n’est pas seulement jouer avec lui. C’est d’être là, pour toutes les petites choses du quotidien, même celles qui peuvent sembler fastidieuses, mais qui s’avèrent gratifiantes et épanouissantes. »
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