Pour ces mères, les grandes vacances ont été si épuisantes que la rentrée est presque bienvenue
PARENTALITÉ - « Même si je me doutais que ce ne serait pas de tout repos, j’avais quand même espoir d’être un peu moins stressée, d’être plus détendue… C’est raté », soupire Jessica*. Cette mère de 37 ans attendait avec impatience ses congés d’été pour pouvoir souffler et savourer les moments passés avec son compagnon et son bébé de 18 mois. Mais elle a amèrement constaté que quand on est une femme – et a fortiori une mère –, les vacances sont loin d’être une période relaxante.
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Elle n’est pas la seule à ne pas avoir profité de l’été pour se ressourcer avant la rentrée. Selon une étude Ifop pour le site Bons Plans Voyage New York parue en août 2023, 70 % des femmes terminent leurs vacances plus fatiguées qu’avant leur départ – bien plus que les hommes (57 %) –, mais aussi plus stressées (53 % de femmes contre 39 % d’hommes). C’est d’autant plus vrai lorsqu’elles ne logent ni en club de vacances, ni à l’hôtel, et n’ont donc aucun moyen de déléguer à autrui la gestion des tâches du quotidien.
Une inégale répartition du travail domestique
C’est exactement ce qu’a vécu Jessica. « Devoir penser à presque tout, sans mes habitudes et mes repères, a été une vraie source d’anxiété, soutient la jeune femme. Pour couronner le tout, mon bébé est entré en phase de néophobie alimentaire, refusant quasiment tous les aliments. Ses repas sont donc devenus de vraies angoisses car il ne mangeait rien ou presque. »
Même quand les bébés ont grandi, les vacances en famille ne sont pas forcément plus reposantes. Claire*, 41 ans et mère de trois enfants âgés de quatre à neuf ans, en témoigne. En louant avec son conjoint une maison en Vendée début août, elle s’était imaginée « des vacances à la cool, entre baignade, lecture et apéro ». « J’ai en fait passé ces deux semaines à gérer les repas, les lessives et à organiser les activités familiales. »
Pour Julie Hebting, fondatrice de l’association Maydée, qui œuvre pour l’égalité femmes-hommes au sein des sphères domestique et familiale, ces témoignages attestent d’une persistance de la division genrée des rôles dans les couples hétérosexuels : c’est aux mères que revient la gestion du quotidien, vacances ou non. « Les femmes portent à elles seules la majorité du travail domestique », souligne l’experte, qui renvoie à la dernière grande enquête Emploi du temps de l’Insee : les femmes effectuent 71 % des tâches ménagères et 65 % des tâches parentales. Si ces dernières données remontent à 2010 – la prochaine mouture de l’enquête sera publiée l’an prochain –, les choses n’ont vraisemblablement pas assez évolué en quatorze ans.
« Délocalisation parentale »
Jessica a bien conscience que c’est cette inégale répartition des tâches qui est à l’origine de son état de fatigue post-vacances. « Ça n’a jamais vraiment été équilibré, mais depuis la naissance de notre bébé, mon compagnon me laisse le gérer presque exclusivement seule, ce qui a rajouté pas mal de choses sur ma to-do list quotidienne. »
D’ailleurs, depuis qu’elle est devenue mère, Jessica ne dit plus qu’elle « part en vacances » mais qu’elle « délocalise son quotidien », reprenant à son compte le concept de « délocalisation parentale » développé par la journaliste au Nouvel Obs Renée Greusard sur son compte Instagram. « Devoir tout gérer loin de chez soi et de ses habitudes demande beaucoup d’énergie, tout comme de devoir gérer son enfant et la logistique qui va avec 24 heures sur 24 (puisqu’en temps normal, il est à la crèche). Donc en effet, je reviens de vacances avec un niveau de fatigue plus élevé qu’avant la pause estivale », détaille Jessica.
Clémentine, de son côté, n’a même pas eu besoin de quitter son domicile pour goûter à la charge de travail supplémentaire liée aux vacances. En congé maternité cet été, elle a, en plus de son bébé de trois mois, dû gérer deux semaines les filles de sept et douze ans de son compagnon pendant que ce dernier travaillait. « Elles tournaient en rond, ne faisaient que des bêtises… Moi, j’avais l’impression d’être assignée à résidence. Je savais que ce ne serait pas des vacances, mais ça a dépassé mes craintes. J’étais épuisée, je ne savais plus quoi faire. L’an prochain, il faudra qu’elles aillent en colo ou qu’on trouve un autre système. »
« Sur toute la gestion du quotidien, je suis seule »
Sans surprise, les conjoints sont loin de ressentir le même désarroi et la même fatigue à leur retour de congés. « Attention, je ne dis pas qu’il ne s’occupe pas de notre enfant, tempère Jessica. Il passe du temps avec lui, joue avec lui… Mais sur toute la gestion du quotidien, je suis seule. Bien sûr, il est toujours prêt à “m’aider” mais pour cela il faut que je lui demande, lui dise quoi faire et quand… »
Tout ce temps passé à gérer l’intendance rogne nécessairement sur le temps libre des femmes, qu’elles soient en vacances ou non. « Mon mari n’a eu aucun mal à se poser devant les épreuves des JO ou sur son téléphone. Moi, je n’ai même pas réussi à terminer le seul livre que j’avais emporté », se désole Claire. « Les femmes ont moins de temps de loisirs et s’autorisent moins à prendre du temps pour elles », analyse Julie Hebting.
Déjà crevées par leurs vacances tout sauf reposantes, les mères doivent ensuite enchaîner sur le mois de septembre, souvent dense avec la rentrée des classes et la reprise du travail. Et ces impératifs d’emploi du temps ont aussi un impact sur leur bien-être. « J’ai toujours beaucoup de mal à m’organiser, témoigne Justine, mère solo de 38 ans d’une fille de quatre ans. J’ai peur de sombrer à nouveau dans une routine speed, sans plaisir. »
La rentrée, un soulagement pour certaines
Au contraire, Jessica se sent soulagée d’attaquer une nouvelle année en ayant retrouvé ses repères. « C’est une charge en moins. » Pour Clémentine aussi, la rentrée est synonyme de soulagement. « Mon bébé va enfin être gardé, les enfants de mon compagnon vont retourner à l’école, ça va me libérer du temps. Je vais enfin pouvoir penser à moi et à ma carrière. »
Penser enfin à soi : et si c’était ça, la solution pour ne pas commencer la rentrée épuisée ? C’est en tout cas celle que conseille Julie Hebting. « Si c’est possible, partir ne serait-ce que quelques jours seule ou rester chez soi en mettant tout le monde dehors ! Personnellement, je me réserve toujours une semaine de vacances toute seule à Paris, sans personne et c’est génial. Être un peu égoïste, c’est aussi s’assurer de passer ensuite des moments de qualité en famille. »
« En tant que mère célibataire, je n’ai hélas pas cette solution », regrette Justine. Jessica, de son côté, a une autre idée : « Que mon conjoint prenne conscience de la lourdeur qui pèse sur mes épaules et mes pensées et qu’il s’implique davantage. Pas seulement pendant les vacances, mais toute l’année. »
* Les prénoms ont été modifiés.
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