Dans la lutte contre les violences faites aux femmes, la soumission chimique est un angle mort

Le sénateur Joël Guerriau, mis en examen le 17 novembre, est accusé d’avoir drogué la députée Sandrine Josso. Caroline Darian, figure de la lutte contre la soumission chimique, dénonce dans cette tribune l’absence de mobilisation des pouvoirs publics contre ce fléau.

Mardi 14 novembre, Sandrine Josso se rendait chez Joël Guerriau pour fêter sa réélection. Le sénateur tout juste renouvelé tendait à son amie une coupe de champagne, un peu trop sucrée. Ce soir-là, un homme faisait le choix de soumettre chimiquement son amie, contre sa volonté, probablement à des fins d’agression sexuelle. [NDLR : lors de sa garde à vue, Joël Guerriau évoque seulement « un acte d’inadvertance »]

Si cette histoire nous bouleverse et nous choque, c’est bien parce qu’au-delà du fait divers, elle incarne un fait social d’ampleur nationale, le miroir d’une réalité bien plus vaste : celle de la soumission chimique dans la sphère privée. Car l’inoculation de produits psychotropes ou médicamenteux à l’insu des victimes ou sous la menace a aujourd’hui très souvent lieu au sein même de la sphère privée, par un proche.

Si cette histoire nous bouleverse et nous choque, c’est bien parce qu’elle incarne un fait social d’ampleur nationale.

Le récit de Sandrine Josso sidère parce qu’il est celui d’une femme qui a réussi à s’échapper avant que le pire n’arrive, mais qui ne laisse que peu de doute sur ce que ce « pire » aurait pu être. Sandrine Josso n’a pas eu de « la chance » : elle a été droguée par un ami, et rien ne justifiera jamais la situation post-traumatique qu’elle subit désormais.

Une centaine de signalements par an, la partie visible d’un iceberg

Se posent aujourd’hui d’autres questions cruciales : là où elle a réussi à s’échapper, comment font les victimes qui n’y arrivent pas ? Qui n’osent pas ? Ou bien pire encore, combien ne savent même pas que cela leur est arrivé, comme l’a vécu ma mère pendant 10 ans, droguée et abusée par mon père et des dizaines d’hommes sans le savoir ?

Rappelons-le, la soumission chimique consiste à droguer une personne à son insu pour abuser d’elle sans qu’elle ne puisse réagir ou parfois même en avoir conscience. Autrement dit, les quelques centaines de signalements suspects recensés chaque année ne sont que la partie visible de l’iceberg, qui ne prend pas en compte les personnes en errance thérapeutique et dont les symptômes liés à la soumission chimique n’ont pas été détectés.

9 victimes sur 10 de soumission chimique sont des femmes. Dans près de 70 % des cas recensés, l’agression sexuelle est la principale agression rapportée.

Des féminicides à l’inceste, les scandales de ces dernières années démontrent que les affaires de violences, et notamment de violences sexuelles, impliquent généralement des dynamiques de pouvoir qui transforment de supposés faits divers en véritables pratiques systémiques. La soumission chimique n’échappe malheureusement pas à la règle : 9 victimes sur 10 sont des femmes et dans près de 70 % des cas recensés, l’agression sexuelle est la principale agression rapportée.

Le gouvernement doit se mobiliser en urgence !

Au-delà de ces chiffres, le vide statistique autour de la soumission chimique dans la sphère privée est frappant ; les données tangibles pour comprendre la spécificité du phénomène, la chiffrer et en mesurer la portée sont lacunaires. Résultat : aucun dispositif sanitaire n’est aujourd’hui mis en place pour donner aux professionnels les moyens de repérer les violences et de protéger les victimes. Aucun renforcement des liens entre soins de ville et justice ne permet pour l’instant d’encourager le signalement ou la judiciarisation des affaires. Mais sans établir le diagnostic de la situation, comment pourrait-il en être autrement ?

Maintenant que nous savons, que les affaires sortent en fleuve, vient le temps, urgent, de la sensibilisation sur un phénomène social terrible.

Si nous voulons sensibiliser le plus grand nombre, nous devons à tout prix parvenir à remonter les données de terrain, détecter les cas, former les professionnels, et améliorer le circuit de prise en charge des victimes. Maintenant que nous savons, que les affaires sortent en fleuve, vient le temps, urgent, de la sensibilisation sur un phénomène social terrible.

La soumission chimique est un crime de domination physique et symbolique. J’appelle donc le gouvernement à se mobiliser en urgence. Ne laissons pas les agresseurs poursuivre leurs projets pervers. Ne laissons pas les victimes à leur merci.

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