Lutte contre le harcèlement scolaire : les cours d’empathie dans toutes les écoles, une « énième opération de com » ?
ÉCOLE - Une « énième opération de com » du ministère ? Les cours d’empathie étaient l’une des mesures phares avancées par le gouvernement pour lutter contre le harcèlement scolaire. Après une expérimentation réalisée dans 1 200 établissements, ils devaient être généralisés depuis la rentrée 2024 à l’ensemble des écoles maternelles et élémentaires. Mais selon les syndicats, la réalité est tout autre. Qu’en est-il réellement de leur mise en place ?
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Après le suicide de plusieurs adolescents, la lutte contre le harcèlement scolaire avait été érigée comme une « priorité absolue » pour Gabriel Attal. Le ministre de l’Éducation de l’époque s’était rendu au Danemark en septembre 2023 pour observer une méthode qui y a fait ses preuves : « Fri for Mobberi », un enseignement de l’empathie destiné à développer les compétences psychosociales des enfants et prévenir les situations de harcèlement.
Après une expérimentation en France des « cours d’empathie » entre janvier et juin 2024, dans 1 200 établissements, une enquête réalisée par le ministère avait conclu que ses effets sur le climat scolaire étaient bénéfiques. Selon l’étude, qui portait sur une période – courte – de quatre mois, 47 % des écoles ayant mis en place ces séances sur l’empathie avaient vu le nombre de situations de violence diminuer.
« Chaque école s’organise comme elle peut »
Dans sa circulaire de rentrée 2024, le ministère de l’Éducation nationale prévoyait donc que ces cours d’empathie aient « vocation à être généralisés à compter de la rentrée 2024 à l’ensemble des écoles maternelles et élémentaires ». Désormais, « toutes les écoles doivent proposer ce genre de contenu », confirme auprès du HuffPost le ministère, qui précise que la méthode à mettre en place au niveau des établissements reste libre.
Mais pour Guislaine David, cosecrétaire générale et porte-parole du SNUipp-FSU, la généralisation de ces cours d’empathie à toutes les écoles n’est qu’une « énième opération de com’ » contre le harcèlement scolaire, qui n’a pas eu d’effet particulier dans les classes.
Il faut dire qu’aucune consigne précise n’a été donnée aux enseignants du premier degré. « Chaque école s’organise comme elle peut, à hauteur de ses moyens et de son public, indique le ministère. Il ne s’agit pas de dire : le mardi de 11 heures à midi, j’ai cours d’empathie. On insère le développement des compétences psychosociales (CPS) chez l’élève au travers des activités actuelles, par exemple pendant un cours d’EPS. »
« On n’a pas découvert l’empathie avec Gabriel Attal »
Pour Guislaine David, la priorité est ailleurs. « Pour empêcher le harcèlement à l’école, on a besoin de moyens, d’enseignants supplémentaires d’infirmières, de psychologues scolaires, voire d’assistantes sociales, d’autres regards sur les élèves. Et ça, ça manque cruellement. » Réclamée par les syndicats, la baisse du nombre d’élèves par classe serait aussi un levier pour enrayer le harcèlement.
Selon les syndicats, le développement de ces CPS chez les élèves était d’ailleurs déjà réalisé auparavant par les enseignants au quotidien. Des délégations académiques dédiées à ces questions ont été créées en mai 2023. « On n’a pas découvert l’empathie avec Gabriel Attal l’année dernière, s’agace Guislaine David. Ce sont des choses qui se faisaient déjà. » Elle estime que les CPS s’apprennent lors de mises en situation et non à travers des « cours ».
« L’empathie fait partie des compétences que l’on aborde à l’école dès la maternelle, rappelle la syndicaliste. En fonction des situations rencontrées en classe ou en cours de récréation, on travaille sur le rapport à l’autre, le fait de se mettre à la place de l’autre, on fait réfléchir les élèves à leurs actes. »
Guislaine David admet cependant que le « kit pédagogique pour les séances d’empathie à l’école », document de 60 pages créé par le gouvernement à l’attention du corps enseignant du premier degré, peut offrir des pistes intéressantes. « Si ça peut servir, tant mieux, reconnaît-elle. Mais il ne faut pas en faire une obligation et que toutes les classes soient formées de la même façon. »
Former les enseignants
Pour Thomas Villemonteix, un des chercheurs qui a participé à l’élaboration du kit, il a surtout une « visée préventive », que n’ont pas toujours en tête les enseignants, qui peuvent être un peu le nez dans le guidon face à leur classe. « Le but c’est d’éviter et limiter les probabilités que des situations de harcèlement se produisent », souligne le maître de conférences en psychologie à l’Université Paris 8.
Pour lui, acquérir ces compétences psychosociales est un prérequis nécessaire pour favoriser l’apprentissage des savoirs dans de bonnes conditions. « On préconise une heure par semaine d’apprentissage des CPS, soit 15 à 20 minutes par jour, détaille-t-il. Car plus c’est acquis tôt et plus c’est un gain du temps ensuite sur la réussite des élèves dans l’apprentissage. »
Le chercheur est pour que la généralisation des « cours d’empathie » se fasse dans un cadre assez libre pour les enseignants. « En France, on a un fort attachement à la liberté pédagogique, rappelle-t-il. Il vaut mieux convaincre les enseignants et qu’ils s’emparent de l’outil, ou l’intégrer à leur formation initiale, plutôt que de les contraindre à appliquer une méthode sur un temps donné. »
La formation des enseignants est un chantier auquel il faut s’attaquer. « Les enseignants, en grande majorité, méconnaissent complètement cette thématique, confirme-t-il. Mais quand on leur en parle, ils sont très intéressés. Il faudrait que ce soit mis au programme, mais ça va venir. » Pour le chercheur, l’action du gouvernement, ne serait-ce que le fait de parler d’empathie à l’école, va tout de même « dans le bon sens ».
Dans une interview donnée à Elle le 6 novembre, l’actuelle ministre de l’Éducation Anne Genetet indique qu’à partir de l’année 2026, « les programmes d’éducation à la vie affective et à la vie relationnelle comprendront toute une partie sur la compréhension des émotions de l’autre. L’apprentissage du vivre ensemble se joue dès le plus jeune âge. La formation des enseignants va encore une fois être renforcée ». Reste à savoir si ces programmes seront eux aussi vraiment mis en place.
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