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Lutte contre la corruption: Anticor craint de perdre son agrément

Anticor a porté plainte contre plusieurs personnalités de l'exécutif. /Photo d'archives/REUTERS/Stéphane Mahé - -
Anticor a porté plainte contre plusieurs personnalités de l'exécutif. /Photo d'archives/REUTERS/Stéphane Mahé - -

"Nous redoutons que l'Etat se serve d'un argument léger pour ne pas renouveler notre agrément." L'association Anticor, qui a dernièrement porter plainte contre le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti au sujet de l'enquête controversée lancée sur le travail de trois magistrats du parquet national financier, craint que sa demande de renouvellement de son agrément lui permettant d'intenter des actions en justice ne soit pas acceptée.

L'association anticorruption assure avoir adressé son dossier de renouvellement de son agrément, valable jusqu'au 19 février 2021, à la Chancellerie le 6 août dernier. De longues semaines plus tard, Anticor, n'ayant aucune nouvelle de l'avancée de son dossier, fait une demande de récépissé, la preuve que la demande a été reçue par l'administration. Un document qu'elle obtient finalement le 3 octobre dernier. Dès lors, l'instruction de la demande devra être faite dans un délai de maximum quatre mois, soit jusqu'au 3 février 2021. Sans réponse au bout de ce délai, la demande est considérée comme refusée.

"La procédure suit son fonctionnement normal, le traitement de la demande est largement dans les temps", répond la Chancellerie à BFMTV.com.

Matignon va étudier la demande

Pour éviter tout risque de conflit d'intérêt, l'actuel ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a décidé de se retirer des décisions ou des procédures pouvant le concerner personnellement. Il remettra notamment les conclusions de l'enquête administrative sur les magistrats du PNF. Un décret a traduit juridiquement ce week-end cette décision. Dans le texte paru au Journal officiel samedi, il est précisé que le Premier ministre aura la charge, notamment, "des actes de toute nature relevant des attributions du garde des Sceaux, ministre de la justice, relatifs à des personnes morales ou physiques ayant engagé des actions notamment judiciaires contre lui en sa qualité de ministre ou d'avocat". De ce fait, la demande d'agrément d'Anticor va être examinée à Matignon, nous confirme la Chancellerie.

Cet agrément, prévu par un décret du 12 mars 2014, pris à la suite de la loi sur la transparence de la vie politique, permet aux associations anticorruption de se voir reconnaître partie civile dans des dossiers de corruption. La structure peut ainsi demander des comptes devant la justice, au nom de la société. "Il n'y a pas de victime en matière de corruption, personne ne peut donc se constituer partie civile à part les associations, résume Elise Van Beneden, la présidente de l'association Anticor, pas réellement rassurée par le désistement du ministre de la Justice au profit de Matignon. Les affaires politiques sont enterrées si les procureurs ne veulent pas poursuivre."

A l'origine de l'ouverture de plusieurs informations judiciaires, Anticor a notamment déposé plainte avec constitution de partie civile contre Richard Ferrand, pour obtenir la saisie, automatique d'un juge d'instruction. Cette plainte a été déposée en novembre 2017 après que le parquet de Brest a classé sans suite l'enquête préliminaire concernant une supposée prise illégale d'intérêt de l'actuel président de l'Assemblée générale. En juin dernier, Anticor s'en est pris à un autre homme fort de la macronie en portant plainte, là encore avec constitution de partie civile, contre Alexis Kohler, secrétaire général de l'Elysée, mis en cause dans une affaire de trafic d'influence impliquant l'armateur MSC.

Sherpa a obtenu gain de cause

Anticor craint que, outre sa plainte visant directement Eric Dupond-Moretti, ces deux affaires, qui concernent des hommes proches du président de la République, l'empêchent de poursuivre son action. La présidente de l'association précise avoir adressé début août un dossier de 17 pages, contenant de nombreuses pièces. Depuis s'est multiplié une série d'échanges entre l'administration et l'association pour obtenir des précisions. En 2018, l'association dit n'avoir envoyé qu'une demande d'agrément de deux pages, rapidement acceptée.

"Il y a des échanges entre l'association et les services, des demandes de compléments, c'est une procédure classique", rétorque-t-on à la Chancellerie.

L'entourage du ministre de la Justice en veut pour preuve la procédure de renouvellement d'agrément d'une autre association anticorruption Sherpa. L'organisation, qui lutte contre les nouvelles formes d'impunités liées à la mondialisation, a reçu son renouvellement d'agrément en octobre 2019, près d'un an et demi après le dépôt de sa demande. De nombreux échanges avaient alors été nécessaires, comme un recours devant la garde des Sceaux de l'époque Nicole Belloubet, puis devant le tribunal administratif. Avant d'obtenir finalement gain de cause.

"Si l’association est rassurée par cette décision favorable, écrivait l'association sur son site en 2019, il n’en demeure pas moins qu’elle a été accordée tardivement dans un contexte général défavorable à une capacité d’agir des associations dans le champ judiciaire."

Article original publié sur BFMTV.com