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Lumière 2018 - Juan Antonio Bayona : "Le cinéma de genre me permet de surmonter les peurs que j'avais quand j'étais petit"

Le cinéaste espagnol Juan Antonio Bayona, à qui l'on doit "L'Orphelinat" et le récent "Jurassic World II", était lui aussi au festival Lumière. Avant la projection de "Gravity", qu'il avait choisi de présenter, il nous a accordé un peu de son temps.

AlloCiné : Quel est votre tout premier souvenir de spectateur ? 

Juan Antonio Bayona : Mon premier souvenir de spectateur est mon premier souvenir tout court. J'avais trois ans, et j'ai vu Superman, le film de Richard Donner. La première image dont je me souvienne, c'est de voir Superman voler, la première fois qu'on voit Chrisopher Reeve dans le costume de Superman. C'était un choc, pour l'enfant que j'étais. A partir de ce moment, j'ai voulu être Superman, et ensuite, quand j'ai compris que je ne pouvais pas être Superman, et que les films étaient faits par les réalisateurs, alors c'est ce que j'ai voulu être, pour être capable de faire ça. 

Pouvez-vous nous raconter votre première rencontre avec Guillermo del Toro ?

Bien sûr ! C'était en 1993, j'avais dix-huit ans, je me faisais passer pour un journaliste qui couvrait le festival de Sitges. Guillermo y présentait Cronos, son premier film. Il avait adoré mes questions, et le fait que j'aie l'air d'un gamin de onze ans avec des rouflaquettes. On s'est très bien entendus tout de suite et notre relation s'est poursuivie au fil des années. Il est venu en Espagne tourner L'Echine du diable, puis Le Labyrinthe de Pan et de temps à autres, on avait l'habitude de se voir, par le biais de personnes avec qui on travaillait tous les deux. Il me demandait toujours de lui envoyer mes courts métrages et mes clips. Au moment où il a appris que je préparais un film d'horreur, L'Orphelinat, il a voulu faire partie du projet. 

De quelle manière s'est-il impliqué ?

Il m'a tout de suite dit qu'il pourrait m'aider à obtenir un budget plus important, pour que je puisse faire le film dans de meilleures conditions. Il a été formidable. Il n'était pas sur le tournage, mais on a beaucoup discuté du scénario, il nous a fait quelques remarques à Sergio G. Sanchez - le scénariste - et moi, qu'on prenait souvent en considération, sans qu'il insiste jamais pour imposer ses propres idées. Il se montrait toujours encourageant, jamais envahissant. Je crois que quand vous avez un cinéaste comme producteur, c'est vraiment positif, car il sait ce que c'est de réaliser un film, il comprend la situation. 

Vous étiez engagés sur le film de Sergio G. Sanchez, Le Secret des Marrowbone, de la même façon que Guillermo del Toro était engagé sur L'Orphelinat. La transmission, c'est important pour vous ? 

Je pense qu'on fait tous partie de la même équipe. Je pense que tout est connecté, d'une certaine manière, le succès des uns peut permettre d'aider les autres. J'ai eu la chance de pouvoir faire mon premier film grâce à Guillermo, et il m'a dit que sa seule condition, c'était que je produise moi-même le premier film d'un autre réalisateur et c'est ce que j'ai fait avec Sergio. 

Le cinéma de genre est un moyen pour moi de surmonter toutes ces peurs que j'avais quand j'étais petit

Comment expliquez-vous votre attachement au cinéma de genre et au cinéma d'horreur en particulier ? 

J'ai toujours été fasciné par la peur, peut-être parce que j'étais vraiment très effrayé par les films d'horreur lorsque j'étais enfant. Je me souviens qu'à la télévision espagnole, lorsque j'avais quatre ou cinq ans, ils passaient un film d'horreur tous les lundis matins. Je courais jusqu'à mon lit, car j'avais très peur des films d'horreur, mais je pouvais entendre les sons des femmes qui hurlaient et les grognements des monstres et je pense que c'était encore plus terrifiant, car alors j'imagnais ce qui se passait sur l'écran. Le cinéma de genre est certainement un moyen pour moi de surmonter toutes ces peurs que j'avais quand j'étais petit. 

Les films d'horreurs espagnols marchent beaucoup mieux en France que les films d'horreur français. Pourquoi, selon vous ? 

Je ne sais pas... Vous savez, en Espagne, on envie le cinéma d'horreur français. Et quand je vais en France, je m'apperçois que les Français envient le cinéma d'horreur espagnol ! En Espagne, on se dit qu'on ne trouvera jamais le succès dans notre propre pays... En tout cas, j'essaie de voir autant de films de genre que possible. Je crois que le genre est une occasion incroyable de raconter des histoires d'une manière particulière. Je pense que le cinéma est comme un miroir déformant et que le reflet qu'il nous renvoie est plus proche de qui on est vraiment. C'est le cas dans Marrowbone, qui est un film plein d'effets de miroirs, qui nous donnent une idée plus précise de qui est le personnage. 

Le drame occupe aussi une part importante du cinéma d'horreur espagnol. 

On accorde beaucoup d'importance aux émotions, elles ne nous font pas peur. Cela fait partie de la culture latine, qui est très passionnée. C'est quelque chose que l'on partage aussi avec l'Amérique latine, que je partage avec Guillermo. On retrouve cela dans les films d'horreur asiatiques, qui font également la part belle à l'émotion. Ce sont des films qui viennent des tripes et du coeur. Si on veut souffrir avec les personnages, il est indispensable de s'y attacher. 

Très rapidement au cours de votre carrière, on vous a proposé de réaliser des films de studios. Twilight, World War Z... Pourquoi avoir accepté Jurassic World : Fallen Kingdom, est-ce parce que c'était le bon moment ?

Oui, j'ai eu plein de propositions. Même avant L'Orphelinat on m'avait proposé de faire un film à Hollywood. Avec Jurassic World, je me suis dit que c'était le bon moment, en effet. J'avais réalisé trois films dont j'étais satisfait - L'Orphelinat, The impossible et Quelques minutes après minuit - qui m'avait permis de trouver ma place, de faire entendre ma voix, et je me suis senti suffisamment sûr de moi pour pouvoir faire un film à Hollywood. Et puis je l'ai fait pour Steven Spielberg. Avoir la chance de m'asseoir à une table avec Steven Spielberg et discuter du projet, de l'histoire, des plans, c'est quelque chose dont j'ai toujours eu envie. 

M'asseoir à une table avec Steven Spielberg et discuter d'un projet (...), c'est quelque chose dont j'ai toujours eu envie

Lorsqu'on voit le film, on sait que c'est vous qui l'avez réalisé, ce n'est pas toujours le cas avec les films de studios. Comment êtes-vous parvenu à faire en sorte que cela reste votre film ?

Spielberg a été un véritable soutien. Il m'a laissé beaucoup d'espace et il était très sensible au fait que je veuille amener mon univers dans celui de Jurassic World. Je crois qu'il apprécie aussi que le film soit fidèle à l'héritage des premiers Jurassic Park à l'histoire que Colin Trevorrow avait écrite tout en faisant partie d'un univers qui m'est familier. 

On parlait de Spielberg. Quels sont les cinéastes qui vous inspirent ?

Lorsque j'étais petit, j'ai découvert Hitchcock, Truffaut, Polanski, Spielberg bien sûr, à la télévision. A cette époque, il n'y avait qu'une chaîne de télé, dont on était obligés de regarder le film qui passait. Ils montraient des films européens, américains, japonais. Je suis très chanceux d'avoir découvert tous ces réalisateurs avec les yeux d'un enfant. Pour moi, regarder L'Enfant sauvage était aussi excitant que de regarder un film de Spielberg ou Psychose, qui me terrorisait. 

Vous avez aussi travaillé pour la télévision, avec Penny Dreadful dont vous avez réalisé les deux premiers épisodes. Est-ce que c'est quelque chose qui vous intéresserait, de refaire une série ? 

C'était une occasion très spéciale. J'adorais vraiment le script de John Logan, c'est un scénariste de génie. C'est arrivé à un moment où j'étais entre deux projets et ça collait parfaitement avec mon emploi du temps. Avoir l'opportunité de rassembler tous ces personnages, Frankenstein, Dorian Gray, les vampires... C'était comme une rêve ! Ca m'a énormément plu. Je dois avouer que je ne l'ai jamais vraiment envisagé comme un série. J'ai collaboré avec des gens qui avaient travaillé avec moi sur des films, on a tourné en grande partie avec une seule caméra, construit le show plan par plan, donc en matière de production, c'était vraiment comme réaliser un film, même si, bien sûr, c'est une histoire très longue et la manière de la raconter est différente. 

Et après ? 

Je pense beaucoup à faire un nouveau film d'horreur. J'ai des idées et quand j'en aurai suffisamment, je pourrai les connecter et commencer à penser à l'histoire. Parfois, il s'agit de connecter des idées avec des émotions. J'ai très envie de faire un film d'horreur franc et honnête. Je travaille sur plusieurs choses en ce moment et je n'ai pas encore décidé ce que j'allais faire. 

La bande-annonce de Jurassic World - Fallen Kingdom :