L'ordinateur quantique, une puissance sans égal mais en devenir

par Samuel Kahn

PARIS (Reuters) - Systèmes de chiffrement inviolables, avancées fulgurantes dans la recherche sur l'intelligence artificielle et traitements médicaux personnalisés : telles sont les promesses de l'informatique quantique, aux puissances de calcul sans précédent, estiment des analystes et des industriels.

Les chercheurs misent sur les propriétés quantiques de la matière pour dépasser les limites des ordinateurs actuels qui arrivent à une limite de performance, afin d'aider les secteurs nécessitant de grandes quantités de données, comme la gestion des stocks d'une entreprise ou encore la réalisation de calculs complexes permettant de créer de nouvelles molécules.

"La loi de Moore n’est plus valable depuis les trois dernières années", a déclaré à Reuters Cyril Allouche, directeur du laboratoire de recherche quantique d'Atos, faisant référence au principe édicté en 1965 selon lequel la puissance des processeurs double, à prix constant, tous les 18 mois.

La physique quantique, une branche de la physique développée à partir de la première moitié du 20e siècle, établit entre autres le principe de superposition selon lequel une particule peut être dans plusieurs états au même moment.

Contrairement aux processeurs actuels basés sur un système binaire et qui réalisent des calculs les uns après les autres, les processeurs quantiques peuvent trouver toutes les solutions d'un problème en très peu de temps et leur puissance augmente de façon exponentielle avec leur taille.

Cela rend cette technologie particulièrement efficace pour casser des systèmes de chiffrement comme le RSA, aujourd'hui largement utilisé pour sécuriser les échanges sur internet.

"Les cryptologues ont déjà conçu des systèmes de cryptographie dits "post-quantique" qui résisteraient aux attaques des ordinateurs quantiques", explique à Reuters Jean-Paul Delahaye, chercheur au Centre de recherche en informatique, signal et automatique de Lille.

UNE TECHNOLOGIE ENTHOUSIASMANTE MAIS NON ABOUTIE

Mais les entreprises sont encore loin d'être parvenues à construire un ordinateur quantique plus puissant qu'un ordinateur actuel - on parlera alors de suprématie quantique.

En mars, Google a dévoilé un processeur quantique, Bristlecone, huit fois plus grand que ceux réalisée auparavant par le groupe américain.

"Nous sommes prudemment optimistes quant au fait que la suprématie quantique peut être atteinte avec Bristlecone", souligne Julian Kelly, un chercheur du laboratoire de recherche quantique de Google, dans une note disponible sur internet.

Pour Bernard Ourghanlian, directeur technique et sécurité de Microsoft France, les applications concrètes des ordinateurs quantiques sont impressionnantes.

"Si l'on est capable de convertir de l’azote en ammoniaque à température ambiante grâce à un catalyseur, on peut se passer d’un procédé qui consomme 1 à 2% de l’énergie mondiale pour fabriquer de l’engrais. C’est quelque chose qu’un ordinateur quantique est capable de faire", a-t-il indiqué à Reuters.

Mais si les ordinateurs quantiques pourraient avoir des applications dans la vie courante, ils ne devraient pas rendre les équipements actuels obsolètes pour autant.

Le calcul quantique donnera un surplus de puissance très sensible, mais aura des limites et ne permettra pas aux ordinateurs quantiques de tout faire, souligne Jean-Paul Delahaye.

"L’ordinateur quantique ne sera pas le remplaçant de l’ordinateur classique", a déclaré à Reuters le directeur technique d'IBM France Frédéric Allard.

Et même si IBM et Microsoft annoncent tous les deux un ordinateur quantique fonctionnel d'ici cinq ans, il est difficile de savoir quand ces équipements pourront être effectivement livrés.

"Je ne dis pas que c’est impossible à réaliser, mais la recherche avance lentement", a noté Jean-Paul Delahaye.

En attendant, des entreprises comme Atos préfèrent se concentrer sur la simulation de processeurs quantiques, qui permet aux chercheurs d'étudier les possibles applications de cette technologie et de faire en sorte qu'un écosystème logiciel soit prêt quand ce type de matériel sera disponible.

Une approche partagée par Microsoft : "Ce qui nous intéresse, c’est de créer une communauté de développeurs capables de maîtriser la programmation quantique", déclare Bernard Ourghanlian.

(Samuel Kahn, édité par Jean-Michel Bélot)