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Ce que l'on sait de l'ordre d'évacuation déclenché par erreur à Séoul et qui a semé la confusion

Un ratage qui irrite en Corée du Sud. Ce mercredi, les autorités de Séoul ont ordonné aux habitants de la capitale "d'évacuer" après le lancement par la Corée du Nord d'un satellite espion. Avant de rétropédaler une vingtaine de minutes plus tard, expliquant que l'alerte avait été "émise par erreur", puisque l'engin ne visait pas la Corée du Sud. Trop tard, l'alerte avait déjà semé la frayeur dans la ville. Depuis, les autorités ne cessent d'essuyer des critiques.

BFMTV.com revient sur la chronologie d'une journée qui interroge: alors que les tensions sont toujours très vives entre Séoul et Pyongyang, les services de sécurité sud-coréens sont-ils capables de réagir efficacement aux menaces de Kim Jong Un?

· Le lancement raté d'un satellite espion nord-coréen

Tout a commencé avec le lancement d'une fusée nord-coréenne tôt mercredi. Le régime de Pyongyang a affirmé qu'il avait tiré un "satellite de reconnaissance militaire" mais que ce lancement s'était soldé par un échec.

"La nouvelle fusée de transport de satellites Cheollima-1 s'est abîmée dans la mer de l'Ouest", le nom coréen de la mer Jaune, a déclaré l'agence de presse d'Etat KCNA, expliquant cet échec par "une perte de poussée due à un démarrage anormal du moteur du deuxième étage, après la séparation du premier étage pendant un vol normal".

Peu après le tir, l'armée sud-coréenne a publié des images des débris du satellite et de son lanceur qu'elle a annoncé avoir repêché en mer Jaune, à environ 270 km des côtes de continentales de la Corée du Sud, et notamment de la ville de Gunsan, qui abrite une base militaire américaine. Ces images montrent une grande structure métallique en forme de cylindre avec quelques tuyaux et fils à son extrémité.

La Corée du Nord avait déjà annoncé lundi son intention de lancer un "satellite de reconnaissance militaire" d'ici au 11 juin afin de "faire face aux actions militaires dangereuses des Etats-Unis et de leurs vassaux". Le voisin japonais estimait alors que cette annonce cherchait à déguiser un projet de tir de missile balistique.

· Un ordre d'évacuation envoyé sur les téléphones et sirène

Mais avant que ces informations ne paraissent, c'est un ordre d'évacuation on ne peut plus clair qui a été envoyé sur tous les téléphones de Séoul vers 6h41, accompagné d'une sirène stridente.

"Citoyens, préparez-vous à évacuer et permettez aux enfants et aux personnes âgées d'évacuer en premier" pouvait-on lire dans le message.

L'alerte ne précisait nullement pourquoi cette alerte était envoyée ni où les citoyens étaient censés se rendre. Séoul dispose depuis longtemps d'un réseau de plus de 3200 abris souterrains construits durant les dernières décennies, mais ils n'ont jamais été utilisés dans une situation d'urgence réelle.

En 2002, le gouvernement avait publié les résultats d'un sondage indiquant que 74% des près de 10 millions d'habitants de Séoul ne connaissaient pas la localisation de l'abri le plus proche d'eux, rapporte NBC News.

"J'ai emmené mes deux jeunes enfants dans un parking souterrain comme on me l'avait conseillé, j'étais en état de choc", a raconté à l'AFP un père de famille de 37 ans qui a demandé à être identifié par son nom de famille, Yoon.

Le plus grand portail internet de Corée du Sud, Naver (équivalent de Google en termes de fonctionnalités) est tombé en panne à cause d'un excès de trafic généré par l'alerte, a fait savoir l'entreprise.

· Une absence de menace imminente

Une vingtaine de minutes plus tard, les téléphones de Séoul ont reçu un deuxième message: "Nous vous informons que l'alarme envoyée à 06h41 a été émise de manière incorrecte". Un message à la teneur similaire a également été diffusé par le biais des haut-parleurs dans les rues.

Selon le New York Times, le message, qui était pré-enregistré et prêt à être envoyé en cas d'urgence, a été émis par peur que des débris de la fusée nord-coréenne ne touche la capitale.

L'armée sud-coréenne a indiqué à l'agence presse sud-coréenne Yonhap que le projectile n'avait jamais menacé la ville et n'était même pas passé au-dessus de la région.

"C'est tellement stupide. C'était un lancement spatial au-dessus de la mer. C'est comme si le Japon sonnait l'alerte et demandait à tout le monde d'aller aux abris à chaque fois que la Corée du Sud effectue un lancement spatial", a-t-il commenté. ", a tweeté Jeffrey Lewis, directeur du projet de non-prolifération en Asie de l'Est (EANP) à l'Institut d'études internationales de Middlebury.

· Les autorités sous le feu des critiques

"Maintenant, quand une véritable alarme sera déclenchée, personne n'y croira" a tancé le père de famille mentionné plus haut dans cet article sous le nom de Yoon, qui est dit "furieux" vis-à-vis de cette erreur.

Sur les réseaux sociaux, de nombreux Sud-Coréens ont exprimé leur exaspération face à ce fiasco. "Ils ne nous ont pas dit pourquoi nous devions évacuer, ni où nous devions aller", s'est plaint un utilisateur de Twitter. "Si une vraie guerre éclate, je pense que je finirai par me faire tuer".

Un autre habitant de Séoul a dit avoir été pris de panique: "J'ai failli m'évanouir, parce que le texte d'alerte nous disait d'évacuer sans donner d'informations réellement nécessaires". "Il y avait une annonce vocale à l'extérieur que je ne pouvais même pas entendre. Mes mains tremblaient", raconte-t-il.

Le maire de Séoul, Oh Se-hoon, s'est défendu en affirmant que son administration "a jugé qu'une action immédiate était nécessaire" après le lancement. "C'était peut-être une réaction excessive, mais il n'y a pas de compromis en matière de sécurité", a-t-il dit lors d'une conférence de presse, tout en promettant de revoir le système d'alerte de la ville pour prévenir toute nouvelle confusion.

Une alerte au missile avait également été émise dans le département japonais d'Okinawa (sud), appelant la population à se mettre à l'abri. Elle a également été levée par le gouvernement, 30 minutes plus tard.

· Des doutes sur les capacités de défense de Séoul

La Corée du Sud reste officiellement en guerre avec la Corée du Nord, la guerre entre les deux pays de 1950 et 1953 ne s'étant conclue que par un armistice, et non un traité de paix.

Pour Minseon Ku, chercheuse en sciences politiques à l'université de l'Etat de l'Ohio, la bévue de mercredi est le symptôme d'un problème de sécurité chronique au Sud: "Cet accroc est regrettable car la Corée du Sud étant techniquement en guerre en ce moment même, il met en évidence une faille potentielle dans la sécurité civile qui pourrait poser un risque réel", a-t-elle expliqué à l'AFP.

"Il faut espérer que cet incident servira à rappeler aux autorités locales et nationales qu'une sécurité civile forte et fiable l'emporte sur toutes les autres considérations".

Pour Ankit Panda, un autre spécialiste de la Corée basé aux États-Unis, cette erreur devrait donner lieu à une enquête et à une révision des procédures opérationnelles de la Corée du Sud lors des fréquents essais de missiles par son voisin du nord. "Les fausses alertes peuvent être particulièrement dangereuses en cas de crise, mais elles sapent également la confiance du public en temps de paix", rappelle-t-il à l'AFP.

Selon des spécialistes, la Corée du Nord ne dispose d'aucun satellite en fonctionnement, bien qu'elle en ait envoyé cinq vers l'espace. Trois lancements ont échoué. Quant aux deux autres appareils, qui ont vraisemblablement été mis en orbite, aucun organisme indépendant n'a jamais capté leurs signaux, laissant penser à un dysfonctionnement.

La mise en orbite d'un satellite fonctionnel pourrait renforcer l'arsenal de la Corée du Nord en lui donnant des moyens de collecter des informations à but militaire partout dans le monde depuis l'espace.

Article original publié sur BFMTV.com