L'Iran admet avoir abattu "par erreur" l'avion ukrainien

par Babak Dehghanpisheh et Alexander Cornwell

DUBAI (Reuters) - L'armée iranienne a admis samedi avoir abattu "par erreur" l'avion d'Ukraine Airlines qui s'est écrasé mercredi avec 176 personnes à bord, alors que les défenses anti-aériennes étaient en état d'alerte maximum après les tirs de missiles en direction de positions américaines en Irak.

Téhéran avait jusqu'ici nié que le Boeing 737-800 de la compagnie ukrainienne ait été frappé par un missile iranien, comme l'affirmaient entre autres le Canada et les Etats-Unis.

L'appareil s'est écrasé près de Téhéran dans les heures qui ont suivi les tirs de missiles iraniens contre des bases irakiennes abritant des troupes américaines, en représailles à la mort du général iranien Qassem Soleimani, tué le 3 janvier par un drone américain à Bagdad

"La République islamique d'Iran regrette profondément cette désastreuse erreur", écrit le président iranien Hassan Rohani sur Twitter. "J'adresse mes pensées et mes prières aux familles endeuillées", ajoute-t-il.

Les gardiens de la Révolution assument l'entière responsabilité de la destruction de l'avion, dit par ailleurs le commandant des forces aérospatiales du corps d'élite de l'armée iranienne, dans une déclaration mise en ligne samedi par la télévision publique.

"J'aurais préféré mourir plutôt que d'assister à un tel incident", déclare le général Amir Ali Hajizadeh, précisant que l'avion a été pris par erreur pour un missile de croisière. L'officier dit en avoir été informé les autorités le jour-même, ce qui interroge sur les raisons pour lesquelles Téhéran a nié toute implication jusqu'à samedi.

Selon l'agence de presse iranienne Fars, l'ayatollah Ali Khamenei, guide suprême de la révolution, a été informé vendredi de la responsabilité de l'armée iranienne et a décidé de rendre les faits publics après une réunion des responsables des services de sécurité.

L'aveu des autorités iraniennes est survenu après un nouvel appel à la transparence du Canada, qui comptait 57 ressortissants parmi les 176 victimes.

ERREUR HUMAINE

"Furieux" que des familles canadiennes aient perdu leurs proches, le Premier ministre canadien Justin Trudeau a estimé samedi que l'Iran avait admis "un fait très grave" et devait "en assumer la pleine responsabilité".

S'exprimant lors d'un point presse à Ottawa, il a déclaré avoir dit au président Hassan Rohani que si les aveux de l'Iran étaient "un pas important en vue d'apporter des réponses aux familles", il faudrait toutefois "faire toute la lumière" sur les raisons du drame.

A Kiev, le président ukrainien Volodimir Zelenski a fait savoir sur Twitter que le président iranien s'était excusé au nom de son peuple et a annoncé avoir demandé l'identification et le rapatriement immédiat des victimes ukrainiennes.

L'appareil transportait 176 personnes, pour la plupart des Iraniens et des Canadiens d'origine iranienne, qui sont toutes mortes dans l'accident. Il s'est écrasé quelques minutes après son décollage de l'aéroport international de Téhéran.

Dans un communiqué relayé par la télévision publique, l'armée iranienne explique que l'avion d'Ukraine Airlines a survolé une zone située à proximité d'un site militaire sensible des Gardiens de la révolution et été abattu en raison d'une erreur humaine. Les fautifs seront traduits devant la justice militaire, ajoute-t-elle.

"Conclusions préliminaires d'une enquête interne des Forces armées: une erreur humaine dans une période de crise causée par l'aventurisme des Etats-Unis a mené au désastre", a écrit le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif sur Twitter, parlant d'un "jour triste".

BOITES NOIRES

Les autorités iraniennes ont souhaité récupérer elles-mêmes le contenu des boîtes noires de l'appareil, procédure qui peut prendre de quatre à huit semaines, mais Téhéran a fait savoir que des représentants du Canada et des Etats-Unis, deux pays avec lesquels les relations diplomatiques sont rompues, seraient associés à l'enquête.

Trois jours après le drame, l'Agence européenne de la sécurité aérienne a recommandé samedi aux compagnies européennes d'éviter de survoler l'Iran "jusqu'à nouvel ordre".

A Téhéran, un millier de manifestants, scandant des slogans anti-régime et déchirant des portraits de Qassem Soleimani, se sont rassemblés jeudi soir, selon l'agence semi-officielle Fars. Des vidéos diffusées sur Twitter montraient des manifestants réclamant la démission de l'ayatollah Ali Khamenei.

(Avec Alexander Cornwell à Dubai, Steve Holland à Washington, Allison Lampert à Montréal, Natalia Zinets à Kiev, version française Jean Terzian, Jean-Philippe Lefief et Marine Pennetier)