Ce liquide au sol n'est pas du pétrole brut qui sort de terre
Depuis 2011, le Niger est devenu un producteur de pétrole avec la mise en exploitation par une société chinoise de blocs dans l'est désertique du pays. Il dispose d'une raffinerie pour une modeste production de 20.000 barils par jour. Un oléoduc de près de 2.000 km censé transporter le brut du Niger vers l'océan Atlantique a été inauguré en novembre, ce projet devant permettre au pays sahélien de porter sa production à 110.000 barils par jour. Mais le pipeline est au cœur d'une brouille diplomatique entre le Bénin et le Niger, dont les relations sont particulièrement tendues depuis le coup d'Etat qui a porté en juillet 2023 un régime militaire au pouvoir. Ce dernier a fait de la souveraineté économique son mantra. C’est dans ce contexte qu’une vidéo diffusée sur Facebook prétend montrer du pétrole disponible à même le sol au Niger, où la population se servirait "gratuitement". Selon les experts interrogés par l'AFP, il est impossible que ce liquide soit du pétrole jaillissant de terre, phénomène par ailleurs rare, en raison de sa texture. La présence d'un camion-citerne, en arrière-plan dans la vidéo, laisse plutôt penser à un probable accident ayant occasionné une fuite de carburant.
"Le pétrole est apparu au Niger. La population se sert gratuitement" prétend une publication relayée plus de 1.150 fois sur Facebook. Cette légende accompagne une vidéo d’une minute dans laquelle des dizaines de personnes tentent de récupérer un liquide clair répandu au sol, à l'aide de jerrycans et de seaux.
Pour Jean-Pierre Favennec, professeur à l’Université Paris-Dauphine et consultant spécialiste de l’énergie (pétrole et gaz) cette vidéo ne peut pas montrer du pétrole jaillissant du sol. Il explique que "le pétrole qui sort de terre est visqueux". Le chercheur précise que les "fontaines de pétrole" sont "très rares" et que le pétrole qui sort de terre dans ce cas est "très visqueux".
Dans la vidéo le liquide est très clair, quasiment transparent.
Francis Perrin, chercheur associé au Policy Center for the New South (Rabat) et directeur de recherche à l’IRIS (Paris) abonde dans le même sens en précisant que "ce que l’on voit sur la vidéo ne ressemble pas du tout à du pétrole".
"Il peut y avoir du pétrole sur le sol mais dans des cas très particuliers comme une rupture d’un oléoduc par exemple. Dans certains pays où il y a énormément de pétrole, on peut constater parfois des affleurements de pétrole à la surface de la terre mais on voit cela plus au Moyen-Orient que dans le Sahel" précise Francis Perrin.
De nombreux internautes qui commentent la publication doutent d’ailleurs de son authenticité, même si certains y voient la marque "d’une Afrique bénie".
Le liquide au sol dans la vidéo pourrait cependant être un sous-produit de pétrole raffiné (essence, gasoil ou pétrole lampant).
En effet, vers la fin de la vidéo (1 mn 1 s), on remarque en arrière-plan un camion-citerne stationné d’où pourrait s’écouler le liquide. Un accident pourrait expliquer une fuite de carburant qu’un groupe d’individus tenterait de récupérer avec des bols, des seaux et des jerricans.
Où a été tournée cette vidéo ? Une recherche par image inversée n'a pas permis de retrouver l'origine de celle-ci.
Selon le correspondant de l'AFP à Niamey, la végétation et la langue parlée par l'un des hommes dans la vidéo peuvent suggérer que la vidéo a été prise au Niger, mais cela pourrait aussi bien être dans le nord du Nigeria ou ailleurs au Sahel.
En effet, l'un des hommes sur la vidéo s'exprime en haoussa, langue majoritairement parlée au Niger et dans le nord du Nigeria.
En outre, le correspondant précise que les accidents de camion-citerne sont fréquents dans la région, où les routes sont souvent en mauvais état.
Depuis l’arrivée des militaires au pouvoir au Niger, les ressources naturelles comme le pétrole et l’uranium sont au cœur d’une vague de désinformation. AFP Factuel a déjà déconstruit de fausses informations sur les matières premières au Niger (1, 2, 3).
"Le pétrole du Niger qui se trouve dans la région d’Agadem a été "découvert" par la société chinoise CNPC dans les années 2000. Dans un premier temps, une production limitée de ce pétrole (20.000 barils par jour) a été utilisée pour alimenter une raffinerie construite à Zinder par la CNPC. Cette raffinerie alimente le marché nigérien et de manière limitée les marchés voisins" explicite Jean-Pierre Favennec, professeur à l’Université Paris-Dauphine et consultant spécialiste de l’énergie.
La China National Petroleum Corporation a récemment construit un oléoduc qui passe par le Bénin pour exporter jusqu’à 110.000 barils par jour de pétrole d’Agadem. L’acheminement du pétrole du Niger au port béninois de Sèmè-Kpodji a été à l’origine d’une brouille diplomatique entre le Niger et le Bénin (lien archivé ici).