Ligne rouge: "Michel Sardou, confidentiel"
Il a vendu plus de 100 millions d'albums, presque autant que Johnny Hallyday. Michel Sardou est le plus clivant des chanteurs populaires, sans doute le dernier monstre sacré de la chanson française. BFMTV explore la vie et le répertoire parfois explosif du chanteur.
Tout commence en 1967, avec une chanson qui tombe au mauvais moment et va révéler le jeune Sardou. Les États-Unis s'enlisent au Vietnam. Dans les rues des grandes villes de France, la jeunesse défile pour dénoncer l'impérialisme américain. C'est le moment que choisit Michel Sardou, en guise de réponse aux jeunes hippies pour sortir Les Ricains, dont le refrain rappelle "Si les Ricains n'étaient pas là, vous seriez tous en Germanie".
Le titre aurait presque pu passer inaperçu s'il n'avait pas coïncidé avec le bras de fer du général de Gaulle avec les États-Unis, et l'annonce que la France quitte le commandement de l'OTAN. Agacé, le chef de l'Etat s'oppose à la diffusion des Ricains à la radio.
"Une chanson interdite, c'est un rêve"
"Je 'n'étais pas au fait des décisions du général de Gaulle", plaisante Sardou, bien des années plus tard. "Et je sors la chanson Les Ricains, le jour où la décision a été prise d'évacuer les bases américaines en France."
"Il y a un gendarme qui est arrivé à Europe 1 a fait comprendre gentiment qu'il valait mieux... Ce qui a été formidable parce qu'une chanson interdite, c'est un rêve. Parce que justement, comme elle est interdite, les gens se demandent ce qu'il y a dedans."
C'est la chanson qui va le sortir de l'anonymat. En pleine époque yéyé, le jeune artiste détonne.
Michel Sardou est issu d'une famille d'artistes. Fils de la comédienne Jacky Sardou et de Fernand Sardou, célèbre acteur méridional, il a des grands-parents et arrière-grands-parents artistes.
Envoyés par ses parents au pensionnat du Montcel à Jouy-en-Josas, il y fait la rencontre de Patrick Modiano, futur prix Nobel de littérature, et de Jean-Michel Ribes, futur acteur et metteur en scène.
"Michel était apparu tout de suite comme un élève rebelle, se souvient ce dernier. Il faisait le mur. [...] C'était un rebelle, donc c'était quelqu'un qui avait cette capacité à aller contre, à résister aux injonctions des professeurs ou des surveillants. Il avait un côté libertaire."
Celui qui se rêve comédien, comme son père, va devenir chanteur un peu par hasard. Alors qu'il accompagne son ami Michel Fugain à une audition chez Barclay, il est retenu. S'il a déjà son phrasé si particulier, il n'a pas encore acquis le coffre qu'il a aujourd'hui.
Des débuts laborieux
Les débuts sont laborieux. Après quatre ans, Barclay résilie son contrat. Michel Sardou envisage d'arrêter le métier. Jacques Revaux, compositeur de Comme d'habitude pour Claude François et le producteur Régis Talar décident alors de le produire. Ils fondent le label Tréma. Là, plusieurs auteurs lui écrivent des tubes sur mesure. Il y a Jacques Revaux (compositeur de La Maladie d'amour), Pierre Delanoë (parolier des Lacs du Connemara), Didier, Barbelivien (La Rivière de notre enfance), Claude Lemesle (parolier d'Une fille aux yeux clairs)...
En 1975, Michel Sardou s'empare d'un nouveau sujet, un paquebot baptisé le France, que Valéry Giscard d'Estaing, candidat à la présidence s'était engagé à renflouer. Promesse qu'il ne tiendra pas. Le sort du paquebot va lui inspirer la chanson Le France.
"Je l'avais vu une fois entre deux grands tas d'ordures tout seul, abandonné rouillant sur place. Ça m'avait fait beaucoup de peine parce que c'est même un très beau bateau. Et il est là, lamentable, entouré de fil de fer barbelé. C'est un petit peu triste", raconte Michel Sardou.
"Quelque chose qui le choque vraiment, qui l'embête vraiment, il va écrire une chanson dessus", analyse Pierre Billon, ami d'enfance de Michel Sardou et co-auteur des paroles de Je vole.
"Ça n'a pas plus à Giscard d'Estaing, inutile de vous le dire. Il m'a fait un redressement d'impôt, cet enfoiré", raconte Sardou.
L'incompréhension vire au malaise
Le chanteur, porté par le succès du France, continue dans cette veine de chansons engagées, quitte à susciter l'incompréhension. Au fil des provocations, l'incompréhension vire au malaise. Quand il chante Le Temps des colonies, beaucoup refusent d'y voir du second degré.
"C'était totalement du 2e degré, défend Claude Lemesle. Il voulait fustiger justement les colonialistes."
RMC boycotte la chanson. Jacques Revaux, le producteur de Michel Sardou décide alors d'envoyer 1 million de 45 tours au pilon. Il n'existe plus aucun exemplaire de la première version. Celle que l'on écoute désormais est une seconde mouture édulcorée.
"On est responsable de ce qu'on chante", estime le linguiste Louis-Jean Calvet, auteur de Faut-il brûler Sardou?. "On ne peut pas dire 'je ne suis pas responsable, je crée un personnage'. Surtout quand on est un chanteur comme Sardou, une immense vedette qui avait un public de jeunes. Quand on voit tous ces titres-là, c'était sans arrêt mettre les pieds dans le plat et rentrer dans le plat du côté droit."
"Ce n'est pas parce qu'on est une vedette ou parce qu'on est en vue qu'on doit faire abstraction de ses idées personnelles et de son caractère personnel", assume alors le chanteur.
En 1976, sous le coup de l'affaire Patrick Henry, meurtrier d'un enfant de 7 ans, il écrit la chanson Je suis pour, sur la peine de mort. Encore une fois à la première personne, Sardou incarne un père en deuil. Mais difficile d'y voir autre chose qu'une prise de position en faveur de la peine de mort.
Sous protection policière
En France et en Belgique se créent des comités anti-Sardou. Ils accompagnent le chanteur dans chacun de ses déplacements. Durant la tournée 76, Michel Sardou est placé sous protection. Les concerts se déroulent sous haute surveillance. À Besançon. Les gendarmes interviendront même avec force.
"Je n'étais pas tranquille du tout, on a tiré dans la voiture, je passais mes tournées entre deux gendarmes, j'avais très peur".
Michel Sardou, le chanteur de droite, trouve un soutien inattendu auprès de célébrités. Marqué à gauche, le chanteur Georges Moustaki ou l'immense star de l'époque Yves Montand.
Alors que la gauche est élue pour la première fois, le chanteur de droite va connaître les plus belles années de sa carrière. Il s'est mis à dos de Gaulle et Valéry Giscard d'Estaing, mais recevra des mains de François Mitterrand la Légion d'honneur.
Après les polémiques et le chaos des années 1970, Sardou a fait sa mue. Il a laissé tomber son costume de provocateur. Il est désormais une institution. Ses compositeurs assument ce passage à des textes beaucoup plus consensuels.
"J'ai changé, dira-t-il. J'ai moins les idées abruptes. Au début, j'écrivais mon indignation, j'écrivais des réactions, ce que je ne fais plus. Maintenant, je fais attention parce que j'ai appris qu'il fallait plus le faire".
Dans les années 1990, les tubes se font plus rares. Michel Sardou s'essaie à la comédie. Au cinéma, à la télévision, mais aussi au théâtre. Il joue dans une demi-douzaine de pièces, mais aucune ne l'impose comme un grand comédien.
Relancé par "La Famille Bélier"
C'est un film dans lequel il ne joue pas, qui va le remettre sur le devant de la scène. La Famille Bélier raconte l'histoire d'une jeune chanteuse élevée dans une famille de sourds. Le film s'appuie exclusivement sur le vaste répertoire de Michel Sardou. Le film est un immense succès. Il dépasse les 7 millions de spectateurs en salles, à la plus grande surprise de Michel Sardou.
Non seulement Michel Sardou fait un retour en grâce, mais en plus, il touche désormais un public bien plus large.
"C'est bouleversant, en fait, parce que la jeunesse s'est réapproprié un vieux chanteur qui était un peu, en effet, je dirais pas has been parce que c'est pas le cas, mais il appartenait aux vieux", évoque Victoria Bedos, scénariste du film.
En 2021, une comédie musicale est même montée sur ses chansons, une sorte de Mamma Mia à la française en chansons.
"Michel Sardou est un chanteur qui nous a accompagnés dans nos baptêmes, dans nos enterrements, à la fin de notre vie universitaire", souligne Pierre Billon, en référence aux Lacs du Connemara.
"Michel n'a pas toujours été parfait, conclut Jacques Revaux. Il a été, il est le personnage fabuleux, adoré, adulé par le public, détesté par les autres, mais qui continue à être Monsieur Michel Sardou, l'homme aux 100 millions de disques."