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LIGNE ROUGE - Éric Zemmour, une obsession française

C'est l'élément perturbateur qui chamboule la campagne présidentielle. Alors que le match retour entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron n'a cessé de se confirmer de sondages en sondages ces deux dernières années, en quelques semaines, Éric Zemmour a tout bousculé.

Comment l'éditorialiste politique, tête de gondole médiatique, est-il devenu capable de modifier profondément le jeu pour 2022? Qui est-il? Qui le conseille? Comment l'essayiste a-t-il réussi à imposer ses obsessions dans le débat public? Éléments de réponse.

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La jeunesse en tête de gondole

Son aventure politique a commencé l'hiver dernier. Officiellement du moins. Stanislas Rigault, 22 ans, étudiant en droit, a lancé Génération Z, un mouvement de jeunes pour soutenir la candidature de l'écrivain, en février dernier. C'est ce petit groupe d'une trentaine de jeunes qui a multiplié les collages d'affiches ces dernières semaines.

"On n'a pas de relation directe avec lui mais on bosse avec les amis d'Éric Zemmour qui financent nos affichages", explique le jeune homme, passé par l'Institut de formation politique, une association qui organise des séminaires pour former les futurs leaders de la droite.

Les amis d'Éric Zemmour est un parti politique dont les statuts ont été déposés en avril, une structure doublée d'une association de financement. Il est dirigé par Antoine Diers, 33 ans au compteur.

"On se prépare à être utile le jour où il décide d'être candidat. Il n'a pas de parti et heureusement, ce n'est pas un politicien. C'est sa force. On prépare tous les aspects: parrainages, financement, relais locaux", décrypte l'ancien militant pour Philippe de Villiers puis de Nicolas Sarkozy.

Une génération Zemmour prétendument spontanée

Le jeune homme a formé la première équipe qui cherche à convaincre les maires d'accorder leur parrainage pour la présidentielle. L'ancien directeur de cabinet de la maire LR de Calais est également celui qui a rédigé la brochure envoyée aux édiles qui résume le parcours de l'écrivain.

Ce dispositif se déploierait sans aucune intervention du polémiste, promet le collaborateur d'élus. "Éric Zemmour est dans son couloir, on est dans le nôtre. Il vit sa vie et nous, on prépare sa future vie", jure-t-il.

Des visages jeunes, une génération spontanée pour pousser la candidature de l'ancien chroniqueur... C'est l'histoire que raconte son entourage. En réalité, l'éditorialiste nourrit depuis de longues années l'idée d'un destin politique.

Grisé par le succès de ses livres

A l'automne 2014, il publie Le suicide français. L'ouvrage est un immense succès de librairie avec plus de 450.000 exemplaires vendus.

Ariane Chemin, grand reporter au Monde, l'accompagne à l'occasion d'une séance de dédicaces, à Béziers. C'est à ce moment-là que les choses basculent dans l'esprit de l'essayiste.

"En arrivant à la gare, je vois un ballet de limousines qui l'attendent. Et là, je suis stupéfaite. Je le vois dans un costume de politique pour la première fois. Et là, j'ai eu un choc. Je vois des affiches de la ville de Béziers qui annonce qu'il est attendu. Je le vois les regarder les affiches et il est grisé. Tout à coup, il a basculé de l'autre côté. Avec le recul, on voit bien qu'il n'était plus seulement le journaliste du Figaro, il était autre chose", estime l'écrivaine.

Un déjeuner à la Rotonde

Cette réussite éditoriale inspire des figures tutélaires de la droite souverainiste, à commencer par Patrick Buisson, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, mis sur la touche après avoir l'enregistré à son insu. Philippe de Villiers, candidat de la droite souverainiste aux présidentielles de 1995 et de 2007, fait aussi partie des fidèles.

Les trois hommes ont l'habitude de se retrouver à La Rotonde. Dans cette brasserie chic du quartier de Montparnasse à Paris - où Emmanuel Macron fêtera quelques années plus tard sa victoire - un déjeuner en 2015, change la donne.

"Ce sont des vieux amis, ça fait 30 ans qu'ils se connaissent. Et un jour, il y a ce repas qui tourne un peu différemment. (...) Buisson dit à Zemmour: 'c'est à toi d'y aller. Tu es le mieux placé pour représenter nos idées'. Sa première réaction est de dire 'vous êtes fous les gars, ce n'est pas du tout mon métier'. Puis, il oublie", raconte Geoffroy Lejeune, le directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, un hebdomadaire qui prône l'union des droites.

Les européennes, c'est non

Mais l'idée reste dans un coin de la tête de Patrick Buisson qui, en spécialiste des sondages, en commande un. Si elle n'est pas publiée, l'étude révèle que l'écrivain est crédité de 3% au premier tour.

Quelques mois plus tard, le patron de Valeurs actuelles publie un livre de politique fiction dans lequel il imagine l'essayiste élu à l'Elysée en 2017.

L'idée de la candidature de l'éditorialiste commence alors à faire son chemin. Sa notoriété ressemble de plus en plus à un capital politique que les partis essaient de récupérer. A la fin de l'année 2018, Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan lui propose tous deux d'être numéro 3 sur leurs listes respectives pour les européennes.

Sébastien Chenu, député RN, qui se charge alors des négociations de l'époque, raconte l'épisode:

"Son truc, c'est d'être un intellectuel, c'est d'écrire, réfléchir. Rencontrer les Français, trouver des solutions, ce n'est pas un niveau auquel il veut se mettre. Ca ne l'intéresse pas. Et puis à partir du moment où on ne lui propose pas d'être numéro 1, il estime qu'il ne peut pas étudier la proposition", estime le porte-parole du parti de Marine Le Pen.

Un livre pour entamer sa future campagne

Pour être le premier, il faut passer par la présidentielle. Fin 2020, le journaliste contacte Patrick Stefanini, ancien directeur de campagne de Jacques Chirac et de François Fillon.

"Manifestement, il est dans cette démarche qui consiste à basculer d'éditorialiste à candidat. Il est pris d'un vertige. Il n'a pas d'expérience. Il sait que j'ai dirigé plusieurs campagnes présidentielles. Il me fait une proposition fin 2020, tout début 2021. Je lui fais savoir début juillet que je ne donnerai pas suite à sa proposition. Et ce, pour deux raisons: j'ai des convictions européennes. Lui, c'est un souverainiste. (...) Et puis je lui dis qu'il va faire le jeu de Macron. Il va certes affaiblir Marine Le Pen mais aussi la famille politique qui est la mienne", juge celui qui est depuis devenu le directeur de campagne de Valérie Pécresse.

Dans cette campagne présidentielle qui se prépare et ses tentatives de trouver quelqu'un pour la diriger, Éric Zemmour annonce la promotion d'un nouveau livre qui lui permet de faire une tournée dans tout l'Hexagone.

Sarah Knafo prend la lumière

Sa première séance de dédicaces a lieu à Toulon en septembre dernier. L'entrée coûte une vingtaine d'euros. C'est qu'il faut payer les premiers salariés de cette campagne qui ne dit pas encore son nom, à l'instar d'Olivier Ubéda, recruté en août pour organiser ce tour de France.

"Je fais des campagnes électorales, c'est 95% de mon chiffre d'affaires. Je suis à 500 euros l'heure hors taxes", précise celui qui a participé à la campagne de Nicolas Sarkozy en 2017.

Dans cette même conférence aux allures de meeting, les journalistes rencontrent Sarah Knafo, la véritable patronne de la campagne. Sa liaison avec le candidat putatif sera rendue publique par Paris Match quelques jours plus tard.

Cette énarque, sortie en 2019 dans la botte, c'est-à-dire parmi les premiers de l'école qui forme les futurs hauts-fonctionnaires, a commencé sa carrière dans la prestigieuse Cour des comptes.

"Une des personnes les plus talentueuses" de l'ENA

Gaspard Gantzer, ancien communicant de l'Elysée, lui-même énarque et enseignant à Sciences-Po, raconte leur rencontre.

"Beaucoup de mes anciens élèves, qui avaient intégré l'ENA, me la décrivaient comme la personne la plus talentueuse de sa génération. Ça a aiguisé ma curiosité. Et puis par des amis communs, on finit par se rencontrer lors d'un dîner et on a pris plusieurs fois des cafés", explique l'ancien lieutenant de François Hollande.

Dès son arrivée à Sciences-Po, l'étudiante rejoint Critique de la raison européenne, une association souverainiste. L'organisation de plusieurs conférences lui permet alors de construire un solide réseau, à commencer par Henri Guaino.

Elle roule un temps pour cet ancien conseiller de Nicolas Sarkozy lors de sa campagne aux législatives en 2017. Le souverainiste ne récolte finalement que 4,5% des voix. L'étudiante se choisit alors un autre champion. Ce sera Éric Zemmour qui l'aide alors à préparer le concours de l'ENA.

S'appuyer sur les hauts-fonctionnaires

En septembre 2021, Sarah Knafo se met officiellement en réserve de la Cour des comptes pour se consacrer à la campagne du polémiste- une quasi-obligation alors que la jeune femme est soumise au devoir de réserve.

"Elle a mis la totalité de sa mise sur la table au casino. Elle peut gagner beaucoup, elle peut aussi perdre beaucoup", traduit Gaspard Gantzer.

Très vite, la fonctionnaire cordonne les équipes qui s'agitent, à commencer par ceux qui n'estiment pourtant avoir aucun lien avec lui, comme Antoine Diers et Stanislas Rigault qui apparaissent à plusieurs reprises à ses côtés.

Grâce à son réseau, l'agente publique met en relation l'essayiste avec le préfet Gérard Payet, qu'elle a croisé lors d'un stage en préfecture à Pau. En septembre dernier, il devient conseiller technique et juridique dans la campagne.

Ce ralliement n'a rien d'anecdotique pour Ariane Chemin:

"Ce qui est nouveau, c'est que la haute fonction publique n'a plus peur de la droite extrême. Que Gilbert Payet, ancien directeur des stages à l'ENA le conseille, ce n'est pas rien, c'est un symbole", estime la journaliste du Monde.

Lever des fonds

La numéro un du staff de campagne s'attelle aussi au financement. Elle s'appuie sur le coordinateur de campagne, Jonathan Nadler, camarade de Sciences-Po, qui travaille désormais pour la banque JP Morgan. Autre recrutement: celui de Julien Madar, qui dirige un Start up et qui est désormais responsable du pôle financement.

La tâche est cruciale. Rares sont les riches donateurs qui assument soutenir l'écrivain.
Charles Gave, un entrepreneur qui a fait fortune dans la finance et qui, un temps soutenu Nicolas Dupont-Aignan, est l'un d'entre eux. Ce proche de l'ancien mouvement Génération identitaire, a consenti un prêt de 300.000 euros.

Le montant a beau être important, il n'est pas suffisant. Éric Zemmour courtise donc les milieux d'affaires. Avec un certain succès. D'après nos informations, son QG de campagne, à 500 mètres de l'Elysée, lui est loué à prix d'ami.

D'après nos informations, l'éditorialiste a obtenu une franchise de 84.000 euros pour travaux, soit la moitié du total de son loyer. Une remise d'une ampleur rare qui pourrait interpeller la commission des comptes de campagne. La loi interdit en effet les dons ou les aides matériels consenties directement ou indirectement par les entreprises.

L'entourage du presque candidat confirme cette forte remise et affirme qu'elle ne contrevient pas aux règles. Ses proches affirment également que le chroniqueur ne connaît pas personnellement la personne qui lui a accordé la ristourne. Il s'agit de Francis Lagarde, spécialisée dans le rachat d'entreprises en difficulté, un temps en délicatesse avec la justice pour abus de biens sociaux.

Nostalgie d'un passé mythifié

Le dispositif de campagne semble désormais bien huilé, même si le quasi-candidat se garde bien d'annoncer officiellement sa candidature.

Il préfère profiter de ses sorties médiatiques pour raconter son histoire. Un élément revient souvent dans son discours, les traits communs entre son propre parcours et celui des Pieds-noirs ou de leurs descendants.

Pour lui, les rapatriés d'Algérie vivraient très mal l'arrivée de ceux qui les auraient chassés - une des bases de son discours sur un prétendu "grand remplacement". "Je me sens proche d'eux, mes parents sont nés en Algérie", explique régulièrement le polémiste lors de ses conférences.

Son parcours familial est en réalité plus complexe. Le journaliste est issu d'une famille juive qui a quitté l'Algérie française avant la guerre d'indépendance pour trouver une vie meilleure en métropole. Né à Montreuil en 1958 avant de vivre à Drancy, son enfance en Seine-Saint-Denis serait pour lui l'image de bonheur, "loin de la France ghettoïsée" dénoncée à longueur d'ouvrages.

L'analyse laisse sceptique l'historien Gérard Noiriel. "Les années 1960, ce sont aussi les bidonvilles et une très grande ségrégation. Il cache cette vérité-là dans la présentation idyllique qu'il nous fait du passé", juge l'auteur de Le Venin dans la plume. Édouard Drumont, Éric Zemmour et la part sombre de la République.

Les affinités avec Bruno Mégret

Diplômé de Sciences-Po en 1978, le futur éditorialiste rate à deux reprises le concours de l'ENA et se rabat finalement sur le journalisme en commençant sa carrière au Quotidien de Paris, avant de rejoindre Le Figaro.

"Quand il arrive, c'est le journaliste idéal. Les papiers sont à l'heure, on lui demande un truc, il le fait. Et puis un jour, je trouve ses papiers trop parisiens. Je lui propose alors de faire un tour de la France qui vote Le Pen. Il est revenu de là un petit peu changé", raconte Franz-Olivier Giesbert qui est alors son patron.

Le reporter suit alors l'élection de Bruno Mégret, alors numéro 2 du Front national, à Vitrolles en 1997. "On ne sait plus si c'était le militantisme qui infiltrait le journalisme ou le journaliste qui infiltrait le militantisme. En réalité, sa proximité avec Bruno Mégret s'est traduit par des relations poussées, ils se voyaient dans le cercle privé", confie le journaliste Michaël Darmon qui suit à l'époque la campagne pour France 2.

Le rédacteur commence en parallèle à se faire un nom en signant un biographie d'Edouard Balladur, une autre de Jacques Chirac, ou encore un pamphlet contre les juges. Repéré par ITélé pour intervenir à l'antenne, c'est sa détestation du féminisme qui fait décoller sa notoriété. En 2006, l'écrivain publie un brûlot intitulé Le premier sexe. Cela lui vaut une invitation dans Tout le monde en parle, une des émissions phares de France 2 à l'époque.

Occuper l'espace médiatique

Clémentine Autain, alors militante féministe, est invitée pour lui porter la contradiction.

"J'ai lu son livre. Je m'attends aux propos qu'il va tenir. A l'époque, tout le monde est stupéfait de ce qu'il raconte. On ne le prend pas au sérieux. Mais en même temps, on le sent presque en jouissance d'être seul contre tous. Il a le sentiment que ce 'seul contre tous' va le porter", estime la députée La France insoumise.

Séduit par son aplomb, Catherine Barma, la productrice de Laurent Ruquier le recrute. Mi-érudit, mi sniper, l'homme incarne deux cultures chaque samedi soir dans On n'est pas couché, celle de la pensée d'extrême-droite, couplée au clash audiovisuel.
Peu à peu, le chroniqueur colonise l'espace médiatique national. Après I-Télé en 2002, il arrive à Canal + en 2005, à France 2 en 2006, à RTL en, 2010, à Paris Première en 2012, sans oublier ses éditos dans Le Figaro et Le Figaro magazine.

Il bénéficie aussi du large succès de ses livres, alimenté par les scandales quasi-systématiques comme lorsque l'écrivain veut réhabiliter le maréchal Pétain qu'il présente comme le "sauveur des juifs" dans Le suicide français, à rebours des travaux historiques.

Des précautions de langage

Malgré de nombreuses procédures judiciaires, notamment pour appel à la haine raciale, le journaliste est rarement condamné. Et pour cause. Il surveille son langage. Dans La France n'a pas dit son dernier mot, il fait référence au dernier procès dans lequel il a été mis en cause.

"J'avais dit 'la plupart' des mineurs isolés sont 'délinquants, voleurs, violeurs'. L'expression 'la plupart', c'est le sésame 'ouvre-toi'. C'est le moyen d'échapper aux condamnations judiciaires. C'est le cache-sexe du réel", y écrit l'essayiste.

Une maîtrise du verbe qui ne l'empêche pas de finir par se brûler les ailes à force d'accumuler les polémiques médiatiques. Après l'avoir mis en vedette pendant 5 ans, Laurent Ruquier finit par l'écarter en 2011 et se sent obligé de s'excuser.

"Je le regrette aujourd'hui. Je suis un de ceux qui (lui) a donné la parole toutes les semaines pendant 5 ans. Je suis en train de me rendre compte que j'ai participé à la banalisation de ces idées-là", estime l'animateur télé en 2015 sur France 2.

Un cordon sanitaire sur RTL

En 2014, le polémiste est aussi licencié d'I-Télé. Vincent Bolloré, nouvel actionnaire de la chaîne, ne cache pas sa désapprobation et son souhait de le faire revenir dans son giron.

Malgré la multiplication des procédures judiciaires, RTL fait pour sa part le choix de la garder à l'antenne.

"J'aimais bien son positionnement qui était lié sans doute à ses tentations souverainistes à l'époque, c'est-à-dire très iconoclaste, inattendu. Il était capable de donner des bons et mauvais points à la droite comme à la gauche et c'est ce que je trouvais intéressant avec lui", analyse aujourd'hui Christopher Baldelli qui dirige alors la radio.

Ces débuts sur RTL coïncident avec ses premières condamnations judiciaires. Mais difficile de se passer de ce chroniqueur à audience. L'antenne choisit plutôt de mettre en place un cordon sanitaire. Les chroniques sont alors relues par la direction.

"Il n'y a pas nécessairement des chroniques qui ont été retoquées mais en revanche, il y a pu avoir des demandes de réécriture ou de modifications. Ce n'était pas de la censure mais uniquement le respect de la loi. C'est-à-dire que s'il y a des choses qui pouvaient poser problème par rapport au respect de la loi, on lui demandait de le modifier. En tout cas, ça ne passait pas à l'antenne. Il avait accepté les règles du jeu" explique encore Christopher Baldelli.

La main tendue de CNEWS

Malgré cette relecture, des polémiques surgissent. Une chronique de 2014 vaut par exemple à RTL d'être mis fermement en garde par le CSA. L'institution interviendra à quatre reprises sur les chroniques du polémiste à la radio. Sous la pression et malgré des audiences solides, la direction doit se résoudre à réduire sa présence jusqu'à l'écarter complètement en 2019.

Écarté par d'autres médias, Zemmour n'est plus présent qu'au Figaro magazine et à Paris Première. Mais Vincent Bolloré, l'actionnaire majoritaire de Canal+ le sort de cette période de vaches maigres. A l'été 2019, le Breton lui offre un retour à l'antenne sur CNews, le nouveau nom d'I-Télé, au grand dam des salariés.

Dans le compte-rendu du Comité social et économique (CSE) d'octobre 2019 qui lui est entièrement consacré, l'un des participants demande "si Vincent Bolloré (...) assume de l'inviter non pas en plateau de temps en temps mais de payer tous les jours ce monsieur qui fait des appels à la guerre civile et à la violence en France".

La décision du CSA qui change la donne

A l'issue de cette réunion, les membres du CSE demandent à l'unanimité de cesser sa collaboration avec Éric Zemmour et de le retirer de l'antenne de CNews. Pas de quoi émouvoir Vincent Bolloré qui confirme l'arrivée de l'essayiste.

En septembre dernier, la chaîne doit se résoudre à écarter son chroniqueur vedette malgré de très bonnes audiences. Le CSA considère que le journaliste est devenu un acteur du débat politique national et exige le décompte de son temps de parole.

Même s'il reste très largement médiatisé, le polémiste se présente comme une victime du système. A l'en croire, tout serait fait pour l'empêcher de poursuivre sa route.

Dans son dernier livre, il anticipe même les angles d'attaque de ses adversaires pour nuire à sa candidature. "On me promettait mille coups bas, cent coups tordus (...) 'Ta famille n'y résistera pas' me dit-on. 'Tu auras un contrôle fiscal', 'Mediapart est déjà sur ton dos, ils vont te trouver une fille qui t'accusera d'agression sexuelle, de viol'. C'est facile aujourd'hui."

Un rapport aux femmes qui interroge

Quand il écrit ces lignes, Mediapart a déjà en réalité publié deux articles dans lesquels sept femmes au total accusent Zemmour d'agression ou de harcèlement sexuel. Elles parlent de baisers forcés, de caresses non sollicitées.

"Les femmes qui nous ont parlé au cours de ces enquêtes rapportent un comportement assez systématique. Elles ont eu l'impression d'être une jeune femme qui, aux yeux d'Éric Zemmour, aurait été à sa disposition. C'est la manière dont elles l'ont perçu. C'est conforme à ses propres déclarations sur les femmes, la sexualité masculine, sur la virilité des hommes", explique l'une des reporters en charge de l'enquête, Lenaïg Bredoux.

Pour l'heure, aucune femme mettant en cause Éric Zemmour n'a porté plainte. L'ancien chroniqueur tente même de retourner ces accusations à son avantage. A Nice, il déclare qu'"en vérité, le plus grand défenseur des femmes (...), c'est moi".

Se la jouer comme Trump

Le journaliste semble vouloir briser les ultimes tabous. Dans son dernier livre, il met sur le même plan le terroriste Mohamed Merah que ses parents ont fait enterrer en Algérie et certaines de ses victimes dans une école juive de Toulouse, qui ont été inhumées en Israël.

En s'appuyant sur le scandale pour faire carburer sa future campagne, "Zemmour adopte la méthode Trump pour rester à la une des médias", estime Roger Cohen, le chef du bureau de Paris du New York Times.

"Les deux présentent aux gens une idée du monde d'avant, plus simple, moins contrôlé, dans lequel les hommes faisaient ce qu'ils voulaient. Ils se rendent compte que les gens sont inquiets, frustrés, qu'ils craignent pour l'avenir de leurs enfants, qu'ils ne comprennent pas vraiment la mondialisation. Il y a beaucoup de gens pour qui cette nostalgie résonne."

Aux États-Unis, l'ancien président américain a conquis le pouvoir avec un récit fantasmé du "c'était mieux avant". Éric Zemmour qui fait le même diagnostic peut-il aller aussi loin? Le dernier sondage Elabe pour BFMTV/L'Express en partenariat avec SFR le crédite de 15% des intentions de vote.

Article original publié sur BFMTV.com