Liban: pourquoi une possible intervention terrestre d'Israël est complexe et risquée
La crainte d'une escalade. Alors qu'Israël a bombardé ce jeudi 26 septembre des dizaines de cibles du Hezbollah au Liban, la France et les États-Unis ont appelé en faveur d'un cessez-le-feu de 21 jours dans la région, craignant un embrasement régional.
N'envisageant pas de retour au calme, le ministre des Affaires étrangères israélien, Israël Katz, a assuré sur son compte X vouloir "continuer à lutter contre l'organisation terroriste Hezbollah de toutes nos forces jusqu'à la victoire et jusqu'au retour en toute sécurité des habitants du nord dans leurs foyers", tandis que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré que l'armée poursuivrait son combat contre le Hezbollah "avec toute la force nécessaire".
Ces propos interviennent alors que mercredi, le chef d'état-major de l'armée israélienne, le général Herzi Halevi, a assuré à ses soldats préparer "une possible entrée" sur le sol libanais pour y frapper le Hezbollah, alors que pour l'instant Israël s'en tient à des frappes aériennes.
Si l'ambassadeur israélien à l'ONU Danny Danon a assuré que son pays préférerait utiliser la voie diplomatique pour sécuriser sa frontière nord avec le Liban, il a assuré être prêt à utiliser "tous les moyens" à sa disposition si la diplomatie venait à échouer.
"Israël a besoin d'une victoire" politiquement
De quoi envisager une prochaine incursion israélienne sur le sol libanais? Le reporter international pour la BBC Jeremy Bowen estime dans les colonnes du journal britannique que cette opération a une utilité politique pour Israël. "Les dirigeants politiques et les généraux israéliens ont besoin d'une victoire. Après presqu'un an de guerre, Gaza est devenue un véritable bourbier", explique-t-il.
"Pour l'instant, Netanyahu a repris le lead (politiquement)", estime de son côté notre éditorialiste en politique internationale Patrick Sauce qui rappelle que le chef de gouvernement "avait une impopularité folle avec son espèce de désinvolture vis-à-vis du sort des otages".
Désormais, Benjamin Netanyahu a beaucoup à gagner politiquement, selon Patrick Sauce, en "remettant dans la balance le sort de 60.000 à 100.000 Israéliens (qui ont dû quitter leur domicile en raison des frappes menées par le Hezbollah NDLR) et qui pourraient revenir chez eux (en cas de réussite de l'opération terrestre israélienne NDLR)". En cas d'échec, le Premier ministre pourrait "perdre" la confiance des Israéliens, estime cependant Patrick Sauce.
Une "opportunité" pour l'État hébreu
Pour Patrick Dutartre, général de l'Armée de l'air, ancien leader de la Patrouille de France, l'armée israélienne a "parfaitement les moyens" de mener une invasion terrestre au Liban, "mais avec une ambition limitée".
Le général estime que les frappes menées par Israël depuis une dizaine de jours montrent que "ces plans d'opération étaient prévus de très longues dates", mais que "le pouvoir politique a saisi une opportunité de donner un coup extrêmement important au Hezbollah".
"Lorsque vous avez en face de vous quelqu'un qui est surarmé, si vous avez une opportunité de le désarmer, vous ne laissez pas passer cette occasion", juge-t-il. "Le Hezbollah est suffisamment affaibli pour peut-être qu'il y ait une opportunité d'aller un peu plus loin", avance-t-il.
Le Hezbollah, une "armée bien préparée"...
L'opération devrait s'avérer malgré tout délicate, estime cependant, plus pessimiste, Guillaume Ancel, ancien officier de l'Armée française et chroniqueur de guerre, auprès de BFMTV.
"Le Hezbollah est une véritable armée, contrairement au Hamas qui a toujours été un ramassis chaotique de miliciens", note-t-il sur notre plateau.
"Là, on ne se bat pas contre une armée d'ombres, c'est une armée estimée à 50.000 hommes qui ont été très bien armés par l'Iran, qui ont été bien préparés et qui sont contrôlés par l'Iran", souligne-t-il.
"Le Hezbollah est 'un État dans l’État' doté de capacités militaires bien plus sophistiquées (que le Hamas)", juge également auprès de CNN Yoel Guzansky, chercheur à l’Institut d’études de sécurité nationale (INSS) de Tel-Aviv.
... et aux capacités militaires et stratégiques croissantes
Le journaliste Peter Beaumont abonde. Il estime dans The Guardian, que "le Hezbollah est bien mieux armé qu’il ne l’était en 2006, ses militants sont plus expérimentés au combat après des années de combat en Syrie".
Le reporter fait ici référence à l'échec essuyé par Israël lors d'une précédente riposte menée en réponse à des frappes du Hezbollah. Une "guerre de 33 jours" qui s'était terminée par le retrait des soldats israéliens.
CNN précise que, selon des analystes militaires, le groupe libanais dispose actuellement de 30.000 à 50.000 hommes et de 120.000 à 200.000 roquettes et missiles dont des missiles balistiques de longue portée. Le média américain souligne que le Hezbollah dispose également d'une plus grande capacité stratégique grâce à ses alliés au Moyen-Orient, notamment en Irak et au Yémen.
L'armée israélienne pourra-t-elle soutenir deux fronts?
Peter Beaumont, reporter pour The Guardian, souligne par ailleurs qu'Israël a aussi ses propres difficultés dans l'opération terrestre envisagée. Il rappelle notamment que "la crise qui s'aggrave en Cisjordanie est épuisante, alors que le conflit à Gaza se poursuit".
"L’armée israélienne se vante depuis longtemps de combattre sur plusieurs fronts, mais la longue opération menée contre le Hamas n’est toujours pas achevée et aucun plan clair n’a été élaboré pour la suite", souligne Peter Beaumont.
Pour certains experts, l'aptitude d'Israël à mener deux fronts à la fois dépendra d'un soutien étranger. L'État hébreu "aura les capacités de le faire s'il reçoit les munitions des Américains", estime Orna Mizrahi, experte du Hezbollah à l'INSS.
"Or les États-Unis sont en pleine élection présidentielle et Joe Biden se sent probablement piégé et doit se dire: 'si je prends une décision qui exerce la moindre pression sur Israël, Donald Trump me tombera dessus'", estime Guillaume Ancel auprès de BFMTV.