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"L'homophobie tue": le suicide de Lucas ravive les souvenirs des personnes LGBT harcelées à l'école

Aujourd'hui âgé de 24 ans, Adrien raconte les agressions homophobes qu'il dit avoir subies au collège et dénonce le manque d'accompagnement des professionnels de l'Éducation nationale.

Adrien se remémore plusieurs "passages à tabac". "Des coups de poing dans le visage, dans le ventre... C'était très violent", relate-t-il des années plus tard. Le suicide début janvier de Lucas, un adolescent homosexuel de 13 ans sur fond de harcèlement dans son établissement scolaire, a ravivé pour ce jeune homme de 24 ans, comme pour de nombreuses personnes LGBT, le souvenir de ses années difficiles au collège.

Dès son entrée en 6e, Adrien dit avoir été harcelé. "J'étais plutôt gringalet, pas sportif et avec un côté artistique", explique-t-il à BFMTV.com.

"Je n'étais même pas encore conscient de mon homosexualité mais on m'a tout de suite collé une étiquette."

Les insultes sont quotidiennes, quand il ne s'agit pas de violences physiques. "On m'a craché dessus, jeté des choses à la figure, poussé dans les escaliers. On m'empêchait d'entrer dans le vestiaire des garçons. Plusieurs fois, dans la cour, dans les escaliers ou sur le terrain, on a aussi baissé mon pantalon."

À l'époque, Adrien se confie à ses parents, qui alertent son établissement. "Il y a eu des réunions, des conseils de discipline pour ceux qui me harcelaient, mais ça n'a rien changé", assure le jeune homme, aujourd'hui étudiant en stratégie et communication digitale et artiste drag. "En gros, ce n'était pas leur problème, ça ne les préoccupait pas plus que ça."

"J'ai eu de la chance"

Son quotidien devient un enfer. "Ma mère devait venir me chercher au collège parce que ce petit groupe, toujours les mêmes, habitaient dans mon quartier et à chaque fois que je passais à côté d'eux, ils me tapaient." Le garçon développe des stratégies de protection: il évite la cour de récréation, veille à ne plus prendre l'ascenseur avec d'autres jeunes, se retourne sans cesse lorsqu'il marche dans la rue.

"J'étais constamment sur le qui-vive, c'est comme si je m'attendais tout le temps à ce qu'ils s'en prennent à moi."

Un harcèlement qui se répercute sur tous les autres aspects de sa vie. "Je suis devenu très renfermé", explique Adrien. "Je n'arrivais plus à sortir de ma chambre et je ne faisais plus confiance à personne. J'ai fait une grosse dépression."

L'adolescent décroche et redouble sa 5e. "Mais j'ai eu de la chance", ajoute-t-il, "mes parents et ma sœur m'ont beaucoup aidé". Le jeune homme change de collège. Si la situation s'améliore, ce n'est qu'au lycée que le harcèlement ne cessera véritablement. "Aujourd'hui, je suis en paix avec tout ça", poursuit Adrien. "J'en ai fait une force."

À l'école aussi, "l'homophobie tue"

Le cas d'Adrien n'est pas isolé. Après l'annonce du suicide de Lucas, de nombreuses personnes LGBT ont partagé leur émotion sur les réseaux sociaux et témoigné de l'homophobie dont ils ont été victimes, parfois dès l'école primaire.

"L'homophobie tue", a ainsi réagi le collectif éducation contre les LGBTIphobies. Cette instance, qui regroupe plusieurs syndicats enseignants, a appelé à diffuser "de façon massive" une campagne de sensibilisation dans tous les établissements scolaires, "tout au long de l'année".

De son côté, le ministre de l'Éducation nationale a assuré que la lutte contre le harcèlement scolaire était "une priorité du gouvernement".

"L'orientation sexuelle est souvent un point d'appui des auteurs de harcèlement", a-t-il rappelé au Sénat.

Interpellé sur le suicide de Lucas, Pap Ndiaye a affirmé que son ministère souhaitait "changer les représentations qui alimentent les haines" en favorisant la "prévention" et "l'éducation à la sexualité" - au moins trois séances annuelles sont censées être organisées dans les collèges et les lycées. "Dès septembre dernier, j'ai pris des mesures pour rendre effectifs ces enseignements", a-t-il assuré.

Des propos "violents et problématiques"

"Il y a un gros travail de dialogue à mener" dans les établissements scolaires, "pas que de sanction", insiste Véronique Soulié pour BFMTV.com.

Présidente de l'association Estim', elle intervient régulièrement en école, collège et lycée afin de sensibiliser à la lutte contre les discriminations. Elle assure que des propos "violents et problématiques" sont presque systématiquement tenus par les élèves lors de ses interventions. Des propos qui reflètent autant une vision stéréotypée qu'une méconnaissance des questions liées au genre ou à l'orientation sexuelle.

"On a parfois des réactions très cash", abonde pour BFMTV.com Antony Debard, porte-parole de l'antenne parisienne du réseau des associations Contact qui intervient également dans le second degré. "Si je remarque une évolution vers une plus grande acceptation de l'homosexualité et de la transidenté, on a toujours des réactions irrationnelles sur le sujet. Il y a encore beaucoup de rejet." Il évoque même une homophobie "ordinaire".

"Malgré la loi sur le mariage pour tous et la possibilité pour les personnes trans de changer d'état civil, ce n'est pas encore entré dans les normes."

"Deux heures auprès d'une classe, ce n'est pas suffisant"

Pour Antony Debard, de l'association Contact, les trois séances annuelles consacrées à l'éducation à la sexualité - qui abordent à la fois la question du consentement, les infections sexuellement transmissibles, la prévention des risques et des violences - ne permettent pas de cibler le problème. "Ce n'est pas avec une intervention isolée dans une classe qu'on va faire évoluer les mentalités", regrette-t-il.

"Mais en les faisant débattre, en les questionnant, on essaie de leur faire prendre conscience de ce que sont les discriminations et de leurs potentiels effets."

Véronique Soulié milite ainsi pour que tous les personnels - enseignants comme personnels administratifs ou agents d'entretien - soient formés à ces sujets, au même titre que les jeunes.

"On intervient deux heures auprès d'une classe. Mais ce n'est pas suffisant. Tous les adultes en contact avec ces jeunes devraient avoir les clés pour prendre le relais."

Mais elle estime qu'à l'heure actuelle, ce type de formation dépend encore trop souvent du bon vouloir des établissements. "Si le sujet n'est pas pris à bras-le-corps, on n'avancera pas", prévient-elle. "Et on continuera d'avoir des jeunes en grande souffrance."

Article original publié sur BFMTV.com

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