"L'histoire est belle": le comeback réussi du tennisman et YouTubeur Jules Marie, en route pour l'Open d'Australie
"Tu rentres tout le temps, à 100%." Pour Jules Marie, il n’y avait pas l’ombre d’une incertitude, rien qui ne puisse l’empêcher de savourer ce moment de plaisir intense, comme une revanche sur la vie. Ce titre au Koweït, sur le 15.000 dollars de Zahra, magnifique épilogue d’une saison harassante qui aura offert à Jules Marie une gamme d’émotions riches et intenses, était synonyme pour lui d’un voyage à Melbourne. Il en était persuadé, et nous l’a maintes fois répété à l’occasion d’un échange téléphonique la semaine passée.
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Et si un léger doute subsistait encore ce week-end, il a été balayé ce lundi. Jules Marie disputera bien les qualifications de l’Open d’Australie (14-28 janvier 2024) après avoir atteint le meilleur classement de sa carrière (226e joueur mondial), à 32 ans. Pas question de fanfaronner pour autant. "Il y a bien meilleur que moi, explique Jules Marie. Des mecs qui sont Top 10, mais ça prouve bien aux plus sceptiques qu’à 32 ans, tu peux mieux jouer qu’à 25. Ce n’est pas donné à tout le monde d’être 226e mondial, il faut quand même avoir gagné beaucoup de matchs, et des gros matchs."
"Je suis fier de cette saison, et je ne compte pas m’arrêter là, c’est mon histoire à moi", apprécie le tennisman youtubeur.
La peur du vide
Quelle est-elle, cette histoire? Celle d’un galérien du tennis, rescapé de sa vie antérieure. Jules Marie avait abandonné le circuit ATP à l’âge de 25 ans pour se concentrer sur les tournois français CNGT. Encore aujourd’hui, Marie se souvient précisément de ce qui le pousse alors à abandonner le circuit professionnel. Le souvenir reste vivace, parce qu’il est encore difficile de s’en défaire tant sa nouvelle vie le rattache à l’ancienne, qu’elles sont indissociables l’une de l’autre.
"J’étais 228e à l’époque. J’ai commencé à perdre cinq ou six fois de suite contre des joueurs comme Alexander Zverev, Andrey Rublev, ou encore Kyle Edmund, des joueurs qui ont été très très bons par la suite. C’est devenu compliqué. Je n’y croyais plus trop. Je me disais que si je voulais y arriver un jour, j’allais devoir consentir trois à quatre ans de sacrifices supplémentaires, d’entraînements tous les jours, d’argent mis sur la table, sans aucune garantie de réussir. J’ai pris un peu peur."
Lassé par la vie nomade et le coût financier d’un circuit international trop peu rémunérateur pour les joueurs hors du top 100, Marie aspire à une vie "un peu plus normale". Professeur de tennis diplômé d’État à Paris, d’abord dans un club situé à Montrouge puis en tant qu’indépendant, Jules Marie dispense par la suite des cours en ligne sur la plateforme The Court, et joue "trois à quatre matches tous les week-ends" sur les tournois CNGT. La suite s’organise sur YouTube pendant le premier confinement en 2020. Jules Marie et son frère Arthur (ancien 2/6) saisissent l’opportunité de proposer autre chose en s'appuyant sur leur propre expérience du tennis.
La chaîne voit le jour sous l’impulsion d’Arthur Marie, mais c’est bien Jules qui va en devenir l’incarnation, avec l’assentiment de son frère jumeau. La bascule s’opère rapidement.
"On a remarqué que les vidéos faisaient plus de vues quand j’étais présent à l’image", sourit Jules Marie.
La chaîne, dont la vocation première était de délivrer des conseils pour progresser dans son tennis, évolue: Jules Marie embarque les internautes avec lui en tournée, et les immerge dans les coulisses du circuit français. Le concept perdure, mais s’étiole. "J’avais un peu peur de tourner en rond", confie Jules Marie à RMC Sport. L’Open de Caen agit comme un déclic en 2021, et lui redonne subitement l’envie de renouer avec cette vie d’avant dont il ne voulait plus.
Joueur le moins bien classé du tableau, Jules Marie joue bien, et même très bien au tennis. Poussé par un public tout acquis à sa cause, il accroche successivement Antoine Hoang, Lucas Pouille (ex-n°10 mondial) et David Goffin (ex-n°7 mondial) sur la route du titre, puis Ugo Humbert, alors 35e mondial, en finale. Ce dernier finira par abandonner, touché au dos, dans le deuxième set. De quoi laisser Jules Marie sur sa faim, lui qui aurait rêvé de pouvoir lever les bras au ciel à domicile à l’issue d’un gros combat. Mais l’essentiel se situe ailleurs. La niaque est revenue, et avec elle l’envie de "prouver que je suis capable de rejouer les quatre tournois du Grand Chelem".
Marie: "Tu te dis: 'si je ne les avais pas pris…'"
"L’autre objectif, c'était de pouvoir faire évoluer la chaîne", complète Jules Marie. C’est donc avec sa petite équipe que Jules Marie part en tournée l’année suivante. Mais la petite entreprise fait jaser sur le circuit: "Les mecs me connaissaient tous et se disaient: 'mais pour qui il se prend?' J’ai entendu de ces trucs… 'Il ne sera jamais plus de 500', 'il était 200 parce que le niveau était plus faible'...Ils ne se sont pas trop rendu compte de la situation."
L’an zéro de cette renaissance ne rencontre pas le succès escompté. En revanche, le Français, reparti au-delà de la 1000e place mondiale, fait un bond de plus de 500 places malgré tout, sans forcément bien jouer. Un échec très relatif qui préfigure la suite, car la saison 2023 sera une totale réussite, sur tous les plans. La chaîne, à raison de dix vidéos par mois en moyenne, dépasse les 100.000 abonnés.
"Tous ceux qui se sont foutus de moi quand j’étais à 20.000 se disent peut-être aujourd’hui que c’est moi qui avais raison", savoure Jules Marie.
Côté tennis, le Français dispute pas moins de 32 tournois (Challengers et ITF) et en remporte cinq, avec un final en apothéose marqué par deux finales et un titre. "Des moments clés dans cette saison, il y en a eu pas mal. Quand tu commences à regarder tes matchs, tu te dis: ‘ah merde, si celui-là je l’avais gagné, j’aurais eu six points de plus'. 'Ah! Celui-là, si j’avais pas sauvé balle de match, j’aurais eu des points en moins’. Quand tu regardes, tous les matchs sont super importants. Par exemple, le tournoi d’Ajaccio, quand je le gagne (en juillet), que ce soit en quart ou en demi-finale, je sauve des balles de match. En finale du tournoi de Porto (également en juillet), je bats De Schepper en sauvant une balle de match. Il y en a tellement eu, aussi, où j’ai gagné 7-6 au 3e set. Tu te dis: ‘si je ne les avais pas pris…'"
Un écueil de taille aurait pu tout gâcher quand une succession d’échecs sur le circuit Challenger pousse Jules Marie à reconsidérer un peu la suite de son programme, histoire d'"assurer l’Australie". Une blessure (entorse de la cheville) survenue en octobre à Mouilleron-le-Captif bouleverse les plans. "C’était le dernier Challenger. J’avais prévu de faire que des 25.000 dollars, six tournois d’affilée. Je m’étais dit: 'si tu peux en gagner un et faire deux finales, c’est réglé un mois avant la deadline'. Sauf que la blessure m’oblige à jouer le dernier tournoi. Après, tu te dis, l’histoire est belle comme ça. Le suspense fait que l’histoire est belle."
Une fondation pourrait voir le jour
Une première étape de ce voyage est terminée, mais une autre a déjà commencé. Et si l’épopée se prolonge, avec un accessit au top 100 dans les prochains mois - sait-on jamais - la chaîne continuera, elle, à exister. C’est même sa raison d’être, soutient Jules Marie. La saison 2024 se fera en revanche sans coach: "Le problème du coach, c’est que le salaire moyen est compris entre 3000 et 4000 euros par mois, sans compter les frais à payer. Tu remets 2000 euros sur la table. Et par rapport aux autres joueurs, j’ai tout le reste à payer." Et les revenus YouTube ne suffisent ni à rémunérer les personnes impliquées dans la création des vidéos ni à couvrir les frais ATP.
"Ce que me rapportent les vidéos YouTube n’a rien à voir avec ce qu’elles me coûtent", assure Jules Marie, qui évoque pour RMC Sport le montant de 8000 euros par mois, entre 500 et 600 euros par vidéo. Les principales sources de revenus du tennisman proviennent pour l’instant des sponsors, et en particulier des plus gros pourvoyeurs que sont Celio et Tecnifibre, auxquels vient s’ajouter la contribution d’autres partenaires qui l’accompagnent tout au long de l’année. Sans eux, le business model serait en péril, et la chaîne ne pourrait continuer à exister. Sachant qu’elle lui permet de poser les jalons de sa vie d’après, l’enjeu est énorme.
S’il nourrit pour lui-même le rêve de participer aux quatre tournois du Grand Chelem, Jules Marie tire aussi les enseignements de ce que cette vie de tennisman professionnel lui a appris sur la réalité et la dureté du circuit. Un projet de fondation est à l’étude. Son but? Aider et financer les jeunes joueurs de tennis qui n’auraient pas les moyens de disputer des tournois à l’étranger. "On est déjà en train de voir ça", promet Jules Marie. Transmettre, son leitmotiv.