LFI et François Ruffin: récit d'un désamour qui a failli gâcher l'union de la gauche à la Fête de l'Humanité
Le torchon n'a pas fini de brûler entre François Ruffin et La France insoumise. Dernier épisode en date d'un feuilleton explosif depuis les dénonciations du député de la Somme, le 11 septembre dernier sur BFMTV-RMC: la Fête de l'Humanité de ce week-end du 14-15 septembre.
Le fondateur de Picardie debout a été accueilli samedi par des sifflets et des huées lors d'un débat face à, entre autres, Raphaël Arnault. "Tu as blessé énormément de camarades, notamment la jeunesse qui s’est mobilisée (pendant la campagne des législatives)", lui a lancé le néodéputé LFI, membre du mouvement antifasciste La Jeune Garde.
"Diviser les classes populaires entre elles n’est pas la bonne façon de faire", a ajouté l'insoumis, sous les applaudissements de la foule qui n'a pas hésité à entonner, clapping à l'appui, le chant antifasciste italien "Siamo tutti antifascisti".
Une rupture Ruffin-Insoumis qui ne date pas d'hier
La semaine passée, en promotion de son dernier livre, Itinéraire. Ma France en entier, pas à moitié (aux Éditions Les Liens qui Libèrent) sorti mercredi 11 septembre, François Ruffin avait longuement critiqué La France insoumise. Au Nouvel Observateur puis sur notre antenne, il avait exprimé sa honte d'avoir mené une campagne "au faciès" en 2022, changeant d'affiche de campagne selon qu'il s'adressait à un potentiel électeur racisé ou non racisé. Il reproche ainsi à Jean-Luc Mélenchon d'avoir "abandonner une partie de la France" au profit de "la jeunesse et les quartiers populaires".
Des mots forts entérinant une rupture qui ne date pas de cette rentrée politique et de la Fête de l'Humanité 2024. Depuis plusieurs années déjà, le député picard prend ses distances avec le parti mélenchoniste, dont il est un ancien élu.
Quitte à en remettre une violente couche dans son dernier livre, au moment où l'alliance des gauches essaie tant bien que mal de se maintenir fébrilement, après que sa candidate à Matignon a été balayée par Emmanuel Macron au profit de Michel Barnier.
Divorce géographique, moral et philosophique
Inscrit depuis 2017 chez les insoumis à l'Assemblée, François Ruffin a été réélu de justesse député, pour la troisième fois, en juin dernier avec leurs concours. Pour cette nouvelle mandature cependant, il siège parmi le groupe Écologiste et social. Un divorce désormais géographique au sein de l'hémicycle, après avoir été moral et philosophique entre le picard et Jean-Luc Mélenchon.
Car, tout en siégeant jusqu'en juin 2024 dans les rangs insoumis, l'auteur de Merci Patron est resté à la tête de son propre parti, Picardie debout. Il a reproché peu à peu aux députés mélenchonistes la stratégie du "bruit et de la fureur" revendiquée par leur leader.
"Mes désaccords avec Jean-Luc Mélenchon sont connus, ils sont profonds: sur la démocratie, sur le bruit et la fureur plutôt que la force tranquille", avait-il déclaré sur RTL, le 4 juillet 2024.
En octobre 2022 déjà, il déclarait sur France inter: "Je n'ai plus envie de hurler sur les bancs de l'Assemblée nationale (...) Je l'ai dit au groupe: ça ne sert à rien. Ça renforce le RN".
"Un désaccord électoral et moral s’est creusé avec Jean-Luc Mélenchon", a-t-il confirmé dans son entretien de rentrée au Nouvel Observateur, le 11 septembre dernier.
Pour Ruffin, la stratégie à gauche doit changer
Sans renoncer à un certain art spectaculaire du débat dont il est friand -on se rappelle de lui, écopant d'une sanction, après s'être affiché en maillot de football à l'Assemblée- François Ruffin a questionné pendant la précédente mandature l'image renvoyée par La France insoumise.
Se réclamant ainsi d'une nouvelle stratégie: éliminer les provocations et les outrances qui marginalisent, d'après lui, le parti dans la sphère politico-médiatique. Au motif que le contexte politique a changé.
En 2017, il s’agissait de se distinguer à la fois de la gauche de François Hollande qui a pu voter Emmanuel Macron au premier tour et de la nouvelle majorité (La République en marche, à l'époque). Il s'agit désormais de s'adresser davantage aux "fâchés pas fachos" de la "France périphérique", selon la formule du député de la Somme, déclinée dans une interview à Libération le 13 avril 2022.
"Un coup d’œil à une carte du pays suffit: pour La France insoumise, une zone rouge autour de Paris. Le bleu foncé de Le Pen, en revanche, s’étend sur tout le Nord, le Pas-de-Calais, la Picardie, la Champagne, la Lorraine, 42 départements, et pour beaucoup des terres ouvrières. C’est là qu’on perd", fait-il déjà remarquer à l'époque.
Une critique de plus en plus virulente
Jusqu'à ce moment-là, François Ruffin prend ses distances petit à petit, mais le ton ne hausse pas entre Jean-Luc Mélenchon et lui. C'est post-européennes de 2024, que les mots blessent. Une "purge" chez les insoumis écarte plusieurs figures historiques du mouvement, comme Alexis Corbière et Danielle Simonnet. D'autres candidats sont investis à leur place.
Pour l'élu, fondateur du journal alternatif Fakir, l'éviction de ces membres n'a pas d'"autres motifs qu’ils et elles ont une parole libre, sans laisse ni muselière". Les cadres du mouvement mélenchoniste font preuve de "sectarisme" et de "bêtise", tance-t-il alors sans hésitation. Il faut dire que "ces deux dernières années, la vie au sein du groupe LFI était devenue irrespirable", a-t-il avoué trois mois plus tard au Nouvel observateur.
En pleine campagne des législatives de 2024, il a ensuite cette analyse au vitriol: "On a vécu trois semaines dures parce qu'on a un boulet. Vous l'avez entendu. C'est Mélenchon, Mélenchon, Mélenchon, Mélenchon comme obstacle au vote. Dans des terres comme ici, dans des terres populaires de province, ça bloque", a-t-il déclaré pendant l'entre-deux tours à l'AFP le 4 juillet, achevant d'acter la rupture par les mots.
Retour de bâton
Ces critiques sur le fond et la forme ont valu à François Ruffin un coup de bâton immédiat de la part du leader insoumis. Alors que c'est lui qui pose le premier l'idée d'un front populaire à gauche pour aborder les législatives, le soir-même de la dissolution de l'Assemblée, il est évincé des négociations.
Les insoumis reprennent à leur compte ce Nouveau Front populaire et négocient avec les autres partis de gauche. Sans appareil politique, ayant quitté le mouvement, le député de la Somme, réélu de justesse, se retrouve exclu.
À la Fête de l'Huma, la gauche joue malgré tout l'union
Lors de la Fête de l'Humanité ce 13 et 14 septembre, François Ruffin a reconnu des propos "maladroits" tandis que le leader des insoumis a joué la carte de l'apaisement: "Tout n’est pas une obligation de se mettre des gifles", a-t-il déclaré pendant son meeting appelant à dédramatiser la discussion à l’intérieur de la gauche".
"C'est normal de s'engueuler en famille", a renchéri le fondateur de Picardie debout. Pendant cette fête traditionnelle à gauche aussi populaire que politique, le Nouveau Front populaire a également joué l'apaisement après une dernière semaine de griefs interposés.
Le NFP "doit rester uni", ont déclaré les différents représentants des forces de gauche ce week-end. Malgré "des différences et des nuances", a admis Fabien Roussel, "on va continuer à se battre pour préserver cette unité", a prévenu Marine Tondelier.
"Évidemment qu'il faudra une candidature unique en 2027", a ajouté la cheffe de file des Écologistes. Comme un avertissement lancé en prévision à François Ruffin et Jean-Luc Mélenchon, deux figures présidentiables de la gauche.