LFI est-il vraiment un parti d'extrême gauche, comme le dit Emmanuel Macron ?
Alors que La France Insoumise est souvent classée à l'extrême gauche par ses adversaires politiques, la réalité est plus nuancée.
Peut-on vraiment être d'extrême gauche sans être révolutionnaire ? Depuis plusieurs années, il est de coutume, chez les adversaires politiques de La France Insoumise (LFI), comme chez de nombreux journalistes et commentateurs, d'associer ce parti à l'ultra-gauche, ou encore plus fréquemment à l'extrême gauche.
Du côté de LFI et de ses électeurs, la tendance est plutôt, à l'inverse, de récuser cette affiliation et de se réclamer plutôt de la gauche traditionnelle. Comment faire la part des choses entre ces deux positionnements ? Peut-on réellement dire que LFI est un parti d'extrême gauche, au regard de la signification historique de ce terme ?
Selon le ministère de l'Intérieur, LFI est un parti de "gauche"
Comme l'indique Le Parisien, aux yeux du ministère de l'Intérieur, LFI est en tout cas considéré comme un parti de "gauche" dans le cadre des différentes élections. Citant une circulaire ministérielle, le quotidien régional rappelle que "l’attribution des blocs (extrême gauche, gauche, autres, centre, droite ou extrême droite) relève des préfectures, à des fins d’'analyse électorale' et de 'lisibilité des résultats des élections pour les citoyens'".
En mars dernier, le Rassemblement national (RN) avait ainsi saisi le Conseil d'État pour dénoncer sa classification à l'extrême droite, en regard justement du positionnement à gauche de LFI. Le parti de Marine Le Pen avait toutefois été débouté. Dans son rapport, le Conseil d'État avait confirmé que cette typologie n'était "entachée d’aucune erreur manifeste d’appréciation" et par ailleurs insisté sur le fait que LFI, comme le Parti Communiste Français (PCF) appartenaient bien à la nuance "gauche".
Pour l'extrême gauche, la conquête du pouvoir ne se fait pas par les urnes
Il semble donc incorrect pour l'administration française de qualifier LFI de parti d'extrême gauche, mais sur quels critères ? Le plus important semble lié à l'étymologie politique des termes "gauche" et "extrême gauche". "Historiquement, l’extrême gauche représente ce qui est à gauche du Parti communiste, explique le politologue Rémi Lefebvre, cité par Le Nouvel Obs. C’est un mouvement qui se définit contre le 'gauchisme', notamment durant les grèves de Mai-1968."
"Par exemple, poursuit le chercheur, sont considérés comme d’extrême gauche les partis trotskistes Lutte ouvrière (LO) ou celui des Communiste révolutionnaires (dont est issu le NPA, ndlr), qui jouent le jeu électoral mais contestent la voie légale de la conquête du pouvoir et estiment que celle-ci doit se faire par la grève générale, les mouvements sociaux, et pas par l’élection. Ces mouvements ont un rapport parfois compliqué avec la légalité républicaine et peuvent revendiquer une forme de conflictualité."
Une violence "nécessaire" dans le processus révolutionnaire
La dimension révolutionnaire, et donc violente, est ainsi inhérente à l'extrême gauche. "Tous les révolutionnaires marxistes considèrent que 'la violence est l’accoucheuse de toute vieille société grosse d’une société nouvelle', comme le dit Marx", appuie Aurélien Dubuisson, chercheur associé au Centre d’histoire de Sciences Po et auteur de l'ouvrage L’extrême gauche en France, interrogé par Public Sénat.
Ce principe canonique implique que les partis d'extrême gauche, comme LO ou le NPA, "assument pleinement l’idée selon laquelle l’aboutissement du processus révolutionnaire passe nécessairement par l’usage de certaines formes de violences", selon Aurélien Dubuisson, qui ajoute qu'il s'agit d'une "différence avec la gauche qui joue le jeu des institutions".
"Mélenchon a toujours voulu jouer le jeu des élections pour prendre le pouvoir"
De fait, LFI a toujours joué sans sourciller le "jeu des institutions", auquel le fondateur du parti Jean-Luc Mélenchon, qui fut longtemps un cadre du Parti Socialiste (PS), semble farouchement attaché. "Au départ, il est issu d’une culture trotskiste lambertiste, mais est très clairement socialiste républicain", précise Rémi Lefebvre au sujet du candidat aux élections présidentielles de 2012, 2017 et 2022.
"C’est assez emblématique de son inscription dans le socialisme : il a toujours voulu jouer le jeu des élections pour prendre le pouvoir, complète le politologue, toujours cité par le Nouvel Obs. Jean-Luc Mélenchon est un professionnel de la politique, il a été sénateur en 1986, conseiller général, député européen, député, cela manifeste son ancrage dans la République."
Rupture avec le système capitaliste ?
Un autre élément, lié cette fois à des divergences idéologiques, sépare fondamentalement LFI des partis d'extrême gauche. Contrairement au NPA ou à LO, le parti de Jean-Luc Mélenchon ne propose pas - et n'a jamais proposé - une rupture totale avec l'économie de marché. L'objectif n'est pas de détruire le système, mais plutôt de l'ajuster selon des critères sociaux et écologiques.
"Jean-Luc Mélenchon n’est pas favorable à l’abolition du capitalisme, mais propose sa régulation par l’État, un fort niveau de dépense publique, une forte fiscalité", résume Rémi Lefebvre. Selon ce dernier, le programme de La France Insoumise s’inscrit ainsi "dans le socialisme très interventionniste, très réformiste, qui croit au rôle essentiel des services publics, à la planification écologique, la redistribution. Ce qu’il remet en cause, c’est davantage l’ultralibéralisme que le capitalisme lui-même."
"Le programme de LFI n’est pas plus radical que celui de Mitterrand en 1981"
En ce sens, LFI entend donc incarner le nouvel avatar de la longue tradition française de la gauche de gouvernement, remplaçant dans ce rôle le PS, accusé d'avoir trahi ses engagements. "On s’en rend bien compte en comparant par exemple les programmes de Mélenchon, que ce soit en 2017 ou en 2022, à celui de Mitterrand en 1981, illustre Aurélien Dubuisson. Ce dernier passerait pour le pire des extrémistes à l’heure actuelle. Mais en 1981, le contexte politique était différent, il était imprégné par les thèmes de la gauche, nous étions à peine dix ans après Mai 68."
"Le programme de La France insoumise n’est pas plus radical que celui de François Mitterrand en 1981, confirme Rémi Lefebvre. Il n’est pas révolutionnaire, mais réformiste (...) Il est difficile de comparer, dans la mesure où le niveau de la dépense publique est très différent d’une époque à l’autre. Cependant, le programme de Mélenchon, comme celui de Mitterrand, est fondé sur l’interventionnisme d’État et en cela il n’est pas plus radical que le programme commun à l’époque."
"Ça n’a pas de sens d’affirmer que Mélenchon est sorti de l'arc républicain"
Le politologue rappelle cependant que la classification politique reste une affaire de référentiel : "Dans le débat public actuel, les acteurs politiques peuvent mettre ce qu’ils veulent derrière le terme d’extrême gauche, dans la mesure où la gauche est un principe d’orientation et un repère très évolutif. On est toujours à la gauche et à la droite de quelqu’un. Ceux qui considèrent que Jean-Luc Mélenchon est d’extrême gauche le font parce que son mouvement est celui le plus à gauche du spectre politique, si on exclut le Nouveau Parti anticapitaliste et Lutte ouvrière. Ils en ont le droit."
D'un point de vue historique et thématique, les éléments évoqués ci-dessus montrent toutefois qu'il serait mensonger d'associer LFI à l'extrême gauche marxiste révolutionnaire. Tout comme il serait mensonger d'affirmer que ce parti est "sorti de l'arc républicain". "On peut critiquer sa vision de la police ou de la laïcité, mais rien chez Jean-Luc Mélenchon n’est pas républicain, rappelle Rémi Lefebvre. Ça n’a pas de sens de l’affirmer. Le critiquer ainsi, c’est le degré zéro de la politique, cela ressemble à un argument d’autorité qui ne permet pas de faire avancer le débat démocratique."