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Le Pakistan en deuil, la peine capitale rétablie

par Mehreen Zahra-Malik ISLAMABAD (Reuters) - Le Premier ministre pakistanais Nawaz Sharif a levé le moratoire sur l'application de la peine capitale au Pakistan au lendemain du massacre revendiqué par les taliban dans une école de Peshawar. Le Pakistan a entamé mercredi un deuil national de trois jours à la mémoire des quelque 140 victimes de l'attaque, dont 132 enfants, selon le dernier bilan fourni par les autorités d'Islamabad. Les neuf assaillants ont également été tués. Selon l'armée, 148 personnes sont mortes dans l'attaque. Ce massacre d'une ampleur sans précédent a déclenché une onde de choc dans tout le pays, où les appels au rétablissement de la peine capitale, dont l'application est suspendue depuis six ans, se sont multipliés. "Il a été décidé (lors d'un comité ministériel) que le moratoire devait être levé. Le Premier ministre a approuvé cette décision", a déclaré Mohiuddin Wani, le porte-parole du gouvernement, ajoutant que les ordres d'exécution de condamnés se trouvant dans le couloir de la mort seraient signés "d'ici un jour ou deux". Le porte-parole du gouvernement n'a pas précisé quels seraient les condamnés concernés par cette mesure. Fatimah Khan, une femme de 38 ans assistant à une veillé dans la capitale Islamabad, s'est dite dévastée par l'atrocité du massacre : "Je n'ai pas de mots pour exprimer ma douleur et ma colère (...) Ils ont massacré ces enfants comme des animaux". Une étudiante de 16 ans scolarisée à l'école militaire de Rawalpindi, Naba Mehdi, tient elle à tenir tête aux taliban. "Nous n'avons pas peur de vous. Nous continuerons d'étudier et de nous battre pour notre liberté. C'est notre guerre." Alors qu'elle était interrogée sur ce que devrait faire le gouvernement, sa mère est intervenue : "Les pendre. Les pendre tous, sans pitié", a-t-elle répondu à la place de sa fille. Au lendemain du massacre, l'atmosphère était pesante à Peshawar. L'école portait les stigmates d'échanges de tirs ayant duré des heures, du sang recouvrait le sol et les murs criblés de balles, et des cartables et téléphones portables abandonnés étaient étalés dans les salles de classes vides. Près d'un mur ayant été soufflé par l'explosion d'un des kamikazes, des morceaux du corps de ce dernier avaient été rassemblés sur un tissu blanc et une forte odeur d'explosifs et de chair était encore présente. ISLAMABAD CHERCHE LE SOUTIEN DE KABOUL Sur le plan diplomatique, le chef de l'armée pakistanaise Raheel Sharif s'est rendu en Afghanistan mercredi pour tenter de s'assurer le soutien du pays voisin dans la lutte contre les taliban. "Le moment est venu pour l'Afghanistan et le Pakistan d'agir ensemble contre le terrorisme et l'extrémisme avec honnêteté et efficacité", a déclaré le président afghan Ashraf Ghani dans un communiqué. Le Pakistan a dit pour sa part avoir échangé des renseignements avec le chef d'Etat afghan. "Nous espérons voir la partie afghane prendre d'importantes mesures dans les jours à venir", a déclaré le général Asim Saleem Bajwa, porte-parole de l'armée pakistanaise, ajoutant que les nouveaux dirigeants à Kaboul avaient montré une volonté d'action. Les relations diplomatiques sont tendues depuis des années entre les deux pays qui s'accusent mutuellement de soutenir des activistes hostiles au gouvernement. L'annonce de la levée du moratoire sur la peine de mort intervient six ans après son adoption et une seule exécution a eu lieu depuis. L'association d'aide juridique Justice Project Pakistan estime à plus de 8.000 le nombre de condamnés à mort dans ce pays, dont environ 10% l'ont été pour "terrorisme", un terme à la définition très vague dans le droit pénal pakistanais. Quelque 17.000 personnes sont actuellement en attente d'un jugement pour des accusations de "terrorisme" devant des tribunaux d'exception. Dans un rapport publié mercredi, Justice Project Pakistan écrit que les suspects de terrorisme sont souvent soumis à la torture et privés d'avocat. L'ONG ajoute que ces pratiques n'ont pas permis de mettre fin aux attaques. "De nombreuses personnes dont les crimes n'avaient rien à voir avec le terrorisme ont été condamnées à l'issue de procès inéquitables, alors que le terrorisme lui-même ne faiblit pas", souligne-t-elle. (Katharine Houreld, Franck Jack Daniel; Tangi Salaün et Agathe Machecourt pour le service français, édité par Marc Angrand)