L'Etat islamique s'appuie sur les anciens de l'armée de Saddam

par Samia Nakhoul BEYROUTH (Reuters) - Un an après avoir déclaré son califat sur les terres conquises en Syrie et en Irak, le chef de l'Etat islamique Abou Bakr al Baghdadi s'appuie toujours sur l'armée qu'il a créée sur les ruines de celles de Saddam Hussein et sur certains groupes sunnites pour étendre son influence en terre musulmane. Profitant de l'instabilité en Afrique du Nord, l'EI a pris pied en Libye et en Egypte, dans la péninsule du Sinaï. Dans la péninsule arabique, il a revendiqué des attentats contre des mosquées chiites en Arabie saoudite, ainsi qu'au Yémen, en pleine guerre civile. Très actif sur internet, l'EI a lancé un magazine en ligne pour les Turcs, qui ont rejoint son djihad par centaines, si ce n'est par milliers. A côté de l'alliance des anciens fidèles baassistes de Saddam Hussein et des extrémistes islamistes nés de la guerre menée par les Etats-Unis en Irak, Abou Bakr al Baghdadi s'appuie aussi sur certaines tribus sunnites alors que ses précurseurs djihadistes comptaient davantage sur les combattants étrangers. Malgré la présence de milliers de volontaires étrangers très médiatisée, les forces de l'EI sont constituées à 90% d'Irakiens en Irak et à 70% de Syriens en Syrie, affirment les idéologues du djihadisme. Au total, l'EI compterait 40.000 combattants et 60.000 partisans. Le message du calife, proféré à grand renfort de citations du Coran prises hors contexte et de hadiths (propos attribués au prophète Mahomet) pas forcément authentiques, est clair : il faut mener une guerre sainte sans pitié contre les hérétiques chiites, les croisés chrétiens, les juifs infidèles et les Kurdes athées. Quant aux despotes arabes, ils sont accusés de souiller l'honneur de l'islam sunnite. Il n'y a pas de place non plus pour les groupes rivaux islamistes. "L'islam n'a jamais été la religion de la paix; l'islam est la religion de la guerre", a déclaré Abou Bakr al Baghdadi dans un discours diffusé le 14 mai après des informations non confirmées selon lesquelles il aurait été gravement blessé dans une frappe aérienne américaine. APOSTATS Avant de se lancer dans la conquête de territoires en Syrie et en Irak, l'EI s'est débarrassé de la quasi-totalité de ses rivaux islamistes et a désormais déclaré la guerre au Front al Nosra, la branche d'Al Qaïda en Syrie, explique Abou Mohammad al Makdissi. Ce théoricien du djihad était le mentor spirituel d'Abou Moussab al Zarkaoui, le chef jordanien d'Al Qaïda en Irak, structure ancêtre de l'EI. Abou Moussab al Zarkaoui a été tué par une frappe aérienne américaine en 2006. "Ils considèrent désormais les gens du Front al Nosra comme des apostats", commente Makdissi dans une publication sur internet. "Abou Bakr (al Baghdadi) est irakien, a une base populaire en Irak et des tribus irakiennes lui ont fait allégeance alors qu'Abou Moussab (Zarkaoui) était jordanien et entouré de combattants étrangers." "L'EI gagne sur le plan militaire parce qu'il dépend d'anciens officiers baassistes qui connaissent le terrain", ajoute-t-il. Makdissi, qui est lié avec Ayman al Zaouahiri, le successeur d'Oussama ben Laden à la tête d'Al Qaïda, a signé une fatwa avec un autre idéologue lié à Al Qaïda, Abou Katada al Filistini, qui déclare qu'il est légitime de lutter contre l'EI. Formés par leurs commandants baassistes, les hommes de l'EI constituent une force rapide et flexible. Quand ils arrivent dans une ville sunnite, l'EI en chasse ses opposants et ses rivaux islamistes, puis s'empare des ressources locales, de l'énergie aux boulangeries, en passant par l'administration fiscale, à la fois pour se financer et être à la source des emplois et pouvoir pratiquer le clientélisme. L'EI s'est enrichi en vendant du pétrole, dans le trafic d'otages et la vente illégale d'antiquités, explique Hicham al Hachemi, chercheur irakien sur l'EI. La richesse de l'organisation fondamentaliste est estimée à 8 ou 9 milliards de dollars (7 à 8 milliards d'euros), dit-il. LE VÉRITABLE POUVOIR Abou Bakr al Baghdadi n'est pas seul à gouverner. Ce diplômé d'histoire de l'islam de l'université islamique de Bagdad a derrière lui une structure organisée et pourrait être aisément remplacé. "Si Baghdadi est tué, il y en aura un autre", dit Abou Katada. Baghdadi est entouré d'un conseil consultatif de neuf membres et de 23 émirs chargés des zones sunnites. En dessous, il y a une structure qui va de la province de Ninive (dont Mossoul est la capitale) jusqu'aux villes de l'Anbar. Elle est essentiellement gérée par des anciens militaires baassistes qui ont presque tous été prisonniers des Etats-Unis à la prison de Boucca, qui est devenue une sorte de pépinière de l'Etat islamique. Selon ceux qui ont des liens avec l'EI, Abou Bakr al Baghdadi n'est pas le plus puissant. Son numéro deux, Abou Ali al Anbari, qui était général sous Saddam Hussein, exerce le véritable pouvoir. Un autre figure clé est Abou Mouslim al Tourkmani, un ancien colonel des renseignements militaires qu'on a dit tué dans une frappe aérienne en 2014. Tous deux étaient avec Abou Bakr al Baghdadi à Boucca. "D'avoir des anciens officiers baassistes à sa direction lui a donné un avantage en termes militaires et de sécurité, commente Hicham al Hachemi. "Ils peuvent encourager le recrutement au sein de leurs tribus et la plupart d'entre eux appartiennent à de grandes tribus irakiennes." "Ce sont des baassistes d'un point de vue dictatorial et en matière de sécurité", souligne Abou Katada dans une publication sur internet. "Leur conflit avec d'autres groupes islamistes comme Nosra est plus important que leur conflit avec Hachd al Chaabi" (la coalition paramilitaire de milices chiites qui aide l'armée irakienne). (Danielle Rouquié pour le service français)