Dans l'Etat clé de Géorgie, le comptage manuel des voix suscite la controverse
A Leesburg, dans les campagnes du sud-ouest de la Géorgie, une dizaine d'agents électoraux sont assis à des tables et feuillettent des piles de papier vierge, s'habituant à décompter à la main les bulletins de vote.
A quelques semaines de l'élection présidentielle américaine du 5 novembre, la Commission électorale de cet Etat a adopté en septembre une disposition controversée exigeant de chaque comté qu'il recompte à la main les bulletins de vote, en plus du comptage déjà effectué par les machines.
Veronica Johnson, chargée d'organiser les élections pour le comté de Lee, estime que le dépouillement manuel ne devrait pas poser trop de problèmes, surtout dans son petit territoire. Mais l'enjeu n'est pas uniquement logistique.
La Géorgie est l'un des sept Etats clés qui devraient décider du sort de l'élection.
Et les nouvelles instructions ont été adoptées par une commission favorable à l'ex-président et candidat républicain Donald Trump, suscitant l'inquiétude du camp adverse.
Des responsables électoraux républicains comme démocrates estiment que ce décompte manuel est non seulement inutile mais qu'il pourrait aussi semer la confusion, en ralentissant le processus et car il est plus susceptible d'entraîner des erreurs.
"Il est très probable que dans ces circonstances, il va y avoir des disparités" entre les deux types de comptage et qu'elles "seront utilisées par le perdant de l'élection pour tenter de prétendre qu'il y a quelque chose d'anormal", a récemment déclaré à CBS l'expert David Becker, fondateur du Center for Election Innovation and Research.
Cette modification est d'autant plus notable que Donald Trump a été inculpé l'an dernier de tentatives illicites d'inverser les résultats de la présidentielle 2020 en Géorgie, après avoir appelé un haut responsable local pour lui demander de "trouver" les quelque 12.000 bulletins de vote à son nom qui lui manquaient pour remporter l'Etat.
- Règlementation "malavisée" -
Premier républicain à perdre la Géorgie depuis 1992, il n'a jamais pu produire de preuves de la fraude électorale qu'il invoquait, malgré des recomptes et des actions en justice.
Lee est l'un des 159 comtés de Géorgie et, comme beaucoup de ceux situés en zone rurale dans cet Etat, il avait largement voté - à 72% - pour le candidat républicain en 2020.
En raison des recours contre la décision de la Commission, Veronica Johnson n'est pas convaincue que le comptage manuel aura bien lieu lors de l'élection présidentielle, qui oppose Donald Trump à la vice-présidente Kamala Harris. "Je ne pense pas que ce soit nécessaire", fait-elle valoir.
"Honnêtement, chaque responsable d'élection que je connais veut seulement servir les gens et pas être empêtré dans des ramifications politiques", observe-t-elle, en notant que les bulletins sont déjà comptés et vérifiés trois fois par les machines.
Jugeant la nouvelle réglementation "malavisée", le secrétaire d'Etat républicain de Géorgie, Brad Raffensperger, considère que "les militants qui cherchent à imposer des changements de dernière minute dans les procédures électorales" ne font qu'"ébranler la confiance des électeurs".
Les démocrates ont saisi la justice pour tenter de bloquer sa mise en oeuvre.
- "Tout en doute" -
Cette mesure a été adoptée par trois voix contre deux au sein de la Commission électorale. Les trois voix favorables viennent de fervents soutiens de Donald Trump, qui a salué en eux des "pitbulls" se battant pour obtenir la "victoire" lors d'un meeting en août à Atlanta.
La Commission, avec un vote suivant la même ligne partisane, a aussi approuvé une règle accordant aux responsables des bureaux de vote la possibilité de mener une "enquête raisonnable" avant de certifier les résultats.
Cette mesure a été critiquée pour la nature imprécise du terme "raisonnable" et, là encore, la justice a été saisie.
Le problème "est de savoir ce qui se passe si un organe choisit de ne pas certifier" les résultats électoraux, relève Mitchell Brown, directeur du programme de supervision des élections pour l'université d'Auburn, en Alabama.
Donna Mathis, qui vit dans le comté de Lee depuis près de 30 ans et sert de scrutatrice depuis 2018, se lamente du fait que le "pays soit si divisé".
Avec ce changement de règle, souligne-t-elle, "les gens perdent désormais tellement confiance qu'ils mettent tout en doute".
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