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Les tensions raciales toujours palpables à Selma dans l'Alabama

par Kia Johnson SELMA, Alabama (Reuters) - Cinquante ans après ce "Bloody Sunday", la cicatrice due à un coup de matraque est toujours bien visible au-dessus de l'oeil droit de Lynda Lowery, qui faisait partie des 600 manifestants pacifiques pris à partie par la police sur le pont Edmund Pettus de Selma, dans l'Alabama, le 7 mars 1965. La fierté d'avoir joué un rôle actif dans cet épisode historique de la lutte pour les droits civiques des Afro-Américains est tout aussi intacte. L'événement, qui a soulevé une vague d'indignation, a été le catalyseur du Voting Rights Act, la loi qui a tiré un trait sur les atteintes au droit de vote de la population noire. Barack Obama viendra en personne célébrer le cinquantième anniversaire de cette marche, mais, au-delà de la fierté, les célébrations laisseront probablement un goût amer à Lynda, qui était âgée de 14 ans au moment des faits. Pour elle comme pour d'autres marcheurs du 7 mars 1965, cette victoire obtenue de haute lutte n'a pas porté tous ses fruits, comme l'a montré l'affaire Michael Brown, un jeune noir tué le 9 août dernier par un policier blanc à Ferguson, dans le Missouri, dont la mort a donné lieu à des émeutes. "Vous marchiez avec les mains en l'air, mais vous auriez dû les mettre dans l'urne ou sur le bulletin de vote", dit-elle, évoquant le slogan "Hands up ! Don't Shoot !" (Mains en l'air ! Ne tirez pas !) des manifestants de Ferguson, dont la population est aux deux tiers noire. UN PRÉSIDENT NOIR EN 72 "Vous êtes le groupe ethnique majoritaire et vous ne votez pas. Vous avez laissé élire ceux que vous haïssez ou qui vous haïssent", poursuit-elle. Sa mère lui ayant interdit de sortir ce jour-là, c'est de chez lui que Ricky Brown, un paysagiste de 59 ans rentré l'an dernier à Selma après 30 ans passés dans le Michigan, a assisté aux événements de 1965. De sa fenêtre, il tirait sur les policiers et leurs chevaux avec sa carabine à plomb, tandis qu'ils chargeaient les manifestants. Un demi-siècle plus tard, il regrette lui aussi que les tensions raciales persistent. "Ils ne parlent pas si je ne leur adresse pas la parole. Quand je le fais, ils ont l'air surpris ou irrités", dit-il, parlant de la population blanche de la ville. L'élection de Barack Obama, premier président noir des Etats-Unis, témoigne du chemin parcouru, reconnaît toutefois Ricky, avant d'ajouter : "Je disparaîtrai avant que les choses ne deviennent ce qu'elles devraient être, avant que nous puissions tous être considérés de la même façon". Joanne Bland, cofondatrice du musée des droits civiques de Selma qui a également participé à la marche de 1965, déplore quant à elle que les jeunes s'investissent moins aujourd'hui dans les luttes sociales. Elle reste toutefois convaincue que les choses évoluent dans le bon sens. "Ils ont plus de droits que nous n'en avions dans les années 60. Ils ont plus d'argent et toute cette technologie... Si nous en avions eu autant, on aurait eu un président noir en 72", ajoute-t-elle. (Jean-Philippe Lefief pour le service français)