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Les revers répétés de l'armée syrienne ont poussé Moscou à agir

par Andrew Osborn MOSCOU (Reuters) - Pour Vladimir Poutine, le renforcement de la présence militaire russe en Syrie pourrait être à terme un atout diplomatique, tout en permettant au Kremlin de détourner l'attention de la communauté internationale du conflit en Ukraine. Mais si les Russes se sont décidés à agir, c'est qu'ils ont constaté avec inquiétude il y a déjà plusieurs mois que l'armée de Bachar al Assad perdait de plus en plus de terrain face aux djihadistes de l'Etat islamique (EI) et aux autres groupes d'opposition. Ils ont alors décidé d'envoyer des armes et des hommes au gouvernement de Damas, leur fidèle allié au Proche-Orient. "La situation sur le front était très difficile, pour ne pas dire critique", explique Ivan Konovalov, directeur du Centre d'études stratégiques de Moscou. "Une assistance militaire était indispensable, et sur une grande échelle. Les Russes ont répondu présents." Deux diplomates qui suivent de près le conflit soulignent que Moscou a vu avec de plus en plus d'inquiétude les djihadistes progresser en Syrie. "Les Russes cherchent à limiter les dégâts", dit l'un d'eux. Pour Andrew Weiss, spécialiste américain de la Russie, le Kremlin a vraiment cru à un moment que "le régime syrien était dans les cordes". En cas de défaite d'Assad, la Russie craint de voir des milliers de djihadistes se retourner contre elle -- d'après le FSB, les services russes de sécurité, quelque 2.400 ressortissants russes combattent dans les rangs du groupe Etat islamique, de même que 3.000 ressortissants d'Asie centrale. BLINDÉS ET HÉLICOPTÈRES "Bachar al Assad est peut-être un fils de p... aux yeux de la communauté internationale mais tant que ses soldats font face à l'EI il peut compter sur l'aide militaire de la Russie", écrivait récemment Oleg Odnokolenko dans le quotidien Nezavissimaïa Gazeta. "Les Russes envoient un signal très clair: pour le moment, pas question qu'Assad quitte le pouvoir", renchérit une source militaire occidentale. Le renforcement militaire russe en Syrie est chaque jour plus évident. Des blindés, des pièces d'artillerie et des hélicoptères ont été envoyés sur place. Vladimir Poutine, qui reste très populaire dans son pays malgré la crise économique, doit cependant faire preuve de prudence dans ce dossier syrien. Après un an et demi de conflit dans l'est de l'Ukraine, où la Russie est accusée de soutenir les séparatistes, la population russe ne semble guère disposée à un engagement militaire de grande ampleur au Proche-Orient. Héritage de l'époque soviétique, les Russes conservent une base navale dans le port syrien de Tartous, la seule dont ils disposent en Méditerranée, et le régime de Damas est un de leurs meilleurs clients en matière d'armements. Si Assad tombe, l'influence russe dans la région risque de disparaître du jour au lendemain. "Les Russes pensent aussi qu'ils doivent être présents sur le terrain pour peser en cas de défaite du régime", dit l'un des deux diplomates. Le Kremlin minimise l'importance de sa présence en Syrie et dit se contenter d'honorer les accords de coopération passés avec Damas en matière de livraison d'armes et d'envoi de conseillers. Moscou affirme que ses soldats ne participent pas aux combats. PAYS ALAOUITE L'intérêt de la Russie semble se porter tout particulièrement sur un aérodrome militaire proche de Lattaquié, un fief du président Assad. Selon la Maison blanche, les Russes ont récemment élargi les pistes de cet aérodrome et y ont déployé des systèmes de contrôle aérien et des éléments de défense antiaérienne. Pendant quelques temps, deux avions de transport russes s'y posaient chaque jour, après avoir survolé les espaces aériens iranien et irakien, dit-on de source américaine. Sept chars de combat T-90 ont été déployés par la Russie sur cet aérodrome, ainsi que des pièces d'artillerie et environ 200 fusiliers-marins, ajoute-t-on à Washington. Au total, des militaires russes se trouveraient actuellement dans six endroits différents de Syrie, notamment dans la capitale Damas. L'aide russe a peut-être déjà commencé à porter ses fruits. Les forces gouvernementales syriennes ont commencé à utiliser au sol et dans les airs des armes "très précises" fournies par la Russie.. Selon certaines informations non confirmées, les frappes de l'aviation syriennes seraient désormais plus puissantes et plus précises que par le passé. Pour les spécialistes de la Syrie, le "plan A" de Poutine consiste à aider Assad à tenir Damas et à reprendre le terrain perdu face aux djihadistes et aux autres groupes d'opposition, tout en renforçant le "pays alaouite" fidèle au chef de l'Etat. "Le plan B, si Damas venait à tomber, consisterait à aider Assad et son armée repliée dans la région de Lattaquié, afin de peser toujours dans les discussions", déclare Dmitri Trenine, ancien colonel de l'armée russe et directeur du Centre Carnegie à Moscou. (Avec Sylvia Westall et Tom Perry à Beyrouth, Paul Taylor à Bruxelles; Guy Kerivel pour le service français)