Les pétromonarchies du Golfe face à la crise des réfugiés

par Noah Browning et Yara Bayoumy DUBAI (Reuters) - Face aux quelque deux millions de réfugiés syriens vivant en Turquie et au million d'autres au Liban, le refus du Qatar, de l'Arabie saoudite, du Koweït, de Bahreïn et des Emirats arabes unis d'accueillir des familles fuyant la guerre civile est l'objet de critiques de plus en plus vives. Comme dans d'autres régions du monde, la photographie bouleversante d'Aylan Kurdi mort noyé sur une plage de Turquie, massivement relayée dans le monde arabe, a frappé les esprits. Circulant sur les réseaux, un tableau peint montre le corps du petit Syrien de trois ans gisant face contre le sable tandis qu'à l'arrière-plan, derrière une tombe creusée au sol, se tiennent debout, inertes, des hommes en keffieh, costumes ou robes traditionnelles du Golfe, l'un une pelle entre les mains. Un autre dessin, en noir et blanc, représente le corps du petit garçon devant une pierre tombale sur laquelle est écrite l'inscription "la conscience arabe". Pour les critiques des riches pétromonarchies, le contraste est d'autre plus saisissant que certains de ces Etats du Golfe financent des groupes armés engagés dans la guerre civile syrienne et portent donc une part de responsabilités dans les conséquences humanitaires du conflit. Sara Hashash, d'Amnesty International, fustige ainsi le comportement "absolument scandaleux" des Etats du Golfe. Les monarchies se défendent en mettant en avant l'aide financière qu'elles versent aux Etats voisins de la Syrie pour la prise en charge des millions de réfugiés qui ont quitté leur pays depuis quatre ans. Selon les dernières données du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), plus de 4 millions de réfugiés syriens se sont fait enregistrer dans des Etats voisins, dont 1,9 million en Turquie, 1,1 million au Liban, 629.000 en Jordanie, 250.000 en Irak, 132.000 en Egypte et 24.000 en Afrique du Nord. "Le Qatar est très petit et finance déjà les réfugiés en Jordanie, en Turquie et dans le nord de l'Irak. Pour des raisons logistiques, le Qatar ne peut accueillir des réfugiés en grand nombre et choisit à la place de les soutenir financièrement", argumente Abdallah Al Athbah, rédacteur du chef du quotidien Arab Newspaper. Un diplomate qatari rappelle que le petit émirat a "apporté 2 milliards de dollars au peuple syrien en plus des 106 millions de dollars versés par des institutions semi-gouvernements du Qatar". "SILENCE SCANDALEUX" Mais la compassion pour les réfugiés syriens progresse ici comme ailleurs. Dans un éditorial publié dimanche par le quotidien koweïtien Al-An, le journaliste Zeïd al Zeïd évoque "le rayon d'espoir" qu'il entrevoit dans "les grandes campagnes de sympathie et de solidarité avec les réfugiés syriens de la part de gouvernements et de peuples de certains pays européens". "Mais cela nous désole et nous interroge sur l'absence de toute réponse officielle d'Etats arabes", ajoute-t-il en évoquant un "silence scandaleux". Directeur pour la Syrie de l'ONG Oxfam, Daniel Gorevan estime que les pays du Golfe pourraient "à l'évidence en faire bien plus" pour les réfugiés syriens. Il les invite à leur proposer des emplois, à mettre en place des mécanismes de regroupement familial et des dispositifs d'immigration légale. Aucun des Etats du Golfe n'est signataire des conventions internationales définissant le statut de réfugié et imposant aux pays la responsabilité de leur accorder l'asile. Le HCR évoque pourtant "l'hospitalité" des six pays membres du Conseil de coopération du Golfe (Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Oman et Qatar) qui, a déclaré à Reuters son représentant régional, Nabil Othman, "continuent de respecter les normes internationales pour ce qui est de la protection des réfugiés". Car les travailleurs étrangers sont cinq fois plus nombreux que les ressortissants nationaux dans les Emirats arabes unis et au Qatar. Au fil des décennies, l'Arabie saoudite a accueilli quant à elle un demi-million de Syriens, aux Emirats, on en compte plus de 150.000 qui ont participé au spectaculaire développement économie des pays du Golfe. Mais depuis les mouvements du "printemps arabe" de 2011, de peur d'un effet de contagion, l'attitude a changé dans ces régimes absolutistes. Et il n'existe pas dans ces pays de camps de réfugiés. (Henri-Pierre André pour le service français)