Les partisans de l'imam Sadr envahissent la zone verte à Bagdad

par Saif Hameed et Stephan Kalin BAGDAD (Reuters) - Des centaines de partisans de l'imam Moktada al Sadr ont envahi samedi la "zone verte" de Bagdad, le quartier fortifié abritant les principaux lieux de pouvoir, puis ont installé des tentes non loin de là pour passer la nuit, afin de protester contre l'absence de vote sur un nouveau gouvernement en Irak. Les sadristes, qui s'étaient rassemblés dans la journée aux abords du quartier qui concentre ambassades et édifices gouvernementaux, ont franchi un pont sur le Tigre en scandant: "Les lâches se sont enfuis!", allusion aux députés qui avaient quitté le parlement, lequel se trouve dans la "zone verte". Cette invasion de la zone verte a tout d'abord pris un tour pacifique, mais à la tombée de la nuit, les forces de sécurité ont tiré en l'air et fait usage de gaz lacrymogène pour tenter de dissuader une partie des militants de rejoindre la zone sécurisée à partir d'un pont situé non loin de l'ambassade des Etats-Unis. On dénombre une dizaine de blessés, a-t-on dit de source proche de la police. Les agents de sécurité irakiens et les miliciens de Sadr ont constitué une force conjointe destinée à contrôler les mouvements des manifestants, dont la plupart se sont retirés du Parlement après y avoir fait irruption. A la nuit tombée, les manifestants ont érigé des tentes sur un terrain où ont lieu des défilés, sous des arcs de triomphe constitués par des sabres croisés tenus par des mains à l'image de celles de Saddam Hussein, le dirigeant irakien renversé lors de l'invasion anglo-américaine de 2003. Une unité des forces spéciales de l'armée, appuyée par des véhicules blindés, a été dépêchée pour protéger les sites sensibles, ont déclaré deux responsables des services de sécurité. Toutefois, aucun couvre-feu n'a été décrété. Les sadristes multiplient les initiatives depuis des semaines pour obtenir la constitution par le Premier ministre Haïdar al Abadi d'un nouveau cabinet de techniciens chargé de lutter contre la corruption. Ils étaient des dizaines de milliers mardi dans les rues de Bagdad pour exiger des parlementaires un vote en faveur d'un remaniement. INTRUSION SANS PRÉCÉDENT Un porte-parole des Nations unies et des diplomates occidentaux installés dans la zone verte ont déclaré que leurs enceintes avaient été barricadées. Un représentant de l'ambassade des Etats-Unis a démenti toute évacuation de la mission. Une telle intrusion dans le quartier sécurisé depuis l'invasion américaine de 2003 est sans précédent, même si cette zone de 10 km² a déjà été visée, il y a plusieurs années, par des pluies d'obus de mortier. Les checkpoints et les barrières de béton coupent depuis des années les ponts et les rues donnant accès au quartier, symbolisant l'écart entre les dirigeants et le peuple irakiens. Sur des images vidéo diffusées samedi, on a pu voir des manifestants attaquant un 4x4 blindé blanc à coup de bâtons et de projectiles, ou d'autres frapper un homme en costume gris. A l'intérieur du Parlement, plusieurs centaines de manifestants ont dansé, agité le drapeau national et scandé des slogans en faveur de Moktada al Sadr. Auparavant, l'assemblée n'avait pas atteint le quorum requis pour voter sur le remaniement proposé par Haïdar al Abadi. Les partis irakiens résistent aux efforts déployés par le Premier ministre pour remplacer certains ministres, choisis en fonction de critères partisans, ethniques ou religieux, par des technocrates. Peu avant l'entrée de ses partisans dans la zone verte, Moktada al Sadr avait lancé un message en forme d'ultimatum: "Si les corrompus restent avec les quotas, ce sera tout le gouvernement qui chutera et personne ne sera épargné." Dans un discours télévisé enregistré à Nadjaf, où il a annoncé qu'il se retirait de la vie publique pendant deux mois, l'imam chiite a ajouté "attendre le grand soulèvement populaire et la grande révolution pour stopper la marche des corrompus". (Avec Ahmed Saad; Jean-Stéphane Brosse et Eric Faye pour le service français)