Les marchés terminent dans l'incertitude un premier trimestre chahuté

par Blandine Henault

PARIS (Reuters) - "Finalement, on était bien en 2017": cet aveu d'un gérant résume assez bien l'état d'esprit général des investisseurs qui s'attendaient à une année 2018 plus volatile, mais peut-être pas autant.

Après un début d'année en fanfare, les marchés financiers ont été rattrapés par une succession de craintes et de doutes, concernant aussi bien le rythme de croissance, la normalisation des politiques monétaires, le commerce mondial et les perspectives des géants de la technologie.

"Alors que le deuxième trimestre s'annonce, les investisseurs devront décider après la pause pascale si le pire est passé ou s'il est encore à venir", observe Michael Hewson, chez CMC Markets.

Les records historiques inscrits fin janvier à Wall Street semblent loin: le S&P 500 recule ainsi de 1,6% depuis le début de l'année, sa première performance trimestrielle négative depuis le troisième trimestre 2015. Et depuis son pic du 26 janvier, il a cédé autour de 8,5%.

Le Stoxx 600 a abandonné pour sa part 4,7% sur les trois premiers mois de l'année, son plus mauvais trimestre depuis deux ans, et le CAC 40 a cédé 2,73%, sa plus mauvaise performance en trois mois (-3%) depuis la mi-2016.

Globalement, l'indice mondial MSCI, qui regroupe 47 marchés développés et émergents, cède 1,7% sur trois mois après sept trimestres consécutifs de hausse.

Seuls résistent encore les marchés émergents, dont l'indice MSCI progresse de 0,9% depuis le début de l'année, et le Nasdaq composite (+1,6%) malgré les dégagements récents sur le secteur technologique.

Les déboires de Facebook, pris dans un scandale concernant la gestion des données personnelles de ses utilisateurs, ont nourri des craintes d'un durcissement de la réglementation susceptible d'affecter le coeur d'activité des géants des hautes technologies.

Les niveaux de valorisation sur le segment, à des plus hauts historiques, n'ont laissé aucune chance aux "Gafa" (acronyme pour Google, Apple, Facebook et Amazon) et autre "Natu" (Netflix, Airbnb, Tesla et Uber).

Ce coup d'arrêt des techs, dont l'indice américain S&P évoluait encore mi-mars à un plus haut historique, n'est évidemment pas sans conséquence sur l'évolution des places boursières dans leur ensemble.

"Le segment technologique a représenté 70% à 80% de la hausse de Wall Street l'an dernier", rappelle Alain Pitous, directeur général associé et gérant chez Talence Gestion.

POUSSÉE DES TAUX LONGS ET VOLATILITÉ

L'alerte sur les géants de la technologie intervient après une succession de nouvelles préoccupantes pour les investisseurs.

La relative complaisance des marchés, largement perceptible en 2017 et jusqu'à la fin janvier, s'est brutalement heurtée début février à des chiffres d'inflation salariale plus forts que prévu aux Etats-Unis.

La perspective d'une accélération de l'inflation, susceptible de conduire à une normalisation monétaire plus rapide qu'anticipé, a porté les taux longs aux Etats-Unis et en Europe à des niveaux qu'ils n'avaient plus atteints depuis trois à quatre ans.

"Le 'flash krach' début février a surpris mais n'est pas inquiétant. Il y a eu un ajustement des gérants multi-actifs, qui ont réduit mécaniquement la part des actifs risqués avec le retour de la volatilité", explique Alain Pitous.

S'il était attendu, le regain de volatilité a toutefois surpris pas son ampleur: l'indice Vix, qui mesure la volatilité implicite du S&P 500, a brièvement dépassé le seuil de 50 le 6 février, un niveau souvent annonciateur d'un marché baissier durable.

Les craintes sur l'inflation et le rythme du resserrement monétaire se sont toutefois progressivement apaisées, au fur et à mesure d'indicateurs plus rassurants sur la hausse des prix et après une première conférence de politique monétaire jugée réussie pour le nouveau patron de la Réserve fédérale, Jerome Powell.

Cela a favorisé une détente marquée des rendements obligataires, le 10 ans américain retombant de près de 20 points de base par rapport à son pic de 2,957% fin février.

Ce repli des rendements s'explique aussi par le retour, début mars, de l'aversion au risque. En cause cette fois : la mise en oeuvre des projets protectionnistes de Donald Trump.

ÉMERGENCE INATTENDUE DU RISQUE PROTECTIONNISTE

En annonçant des droits de douane sur les importations américaines d'acier et d'aluminium, et en évoquant jusqu'à 60 milliards d'euros de taxes sur les importations en provenance de Chine, le président américain a pris par surprise des marchés déjà nerveux.

"Cela a tellement surpris qu'il n'y avait aucune étude économique disponible sur le sujet protectionniste alors que les grands fournisseurs de recherche sont souvent prompts à dégainer des notes", observe Alain Pitous.

Washington devrait dévoiler dans les prochains jours la liste des produits chinois concernés par les taxes; de son côté, Pékin a menacé d'appliquer des droits de douane supplémentaires sur 128 produits d'importation américains.

Certains investisseurs relativisent toutefois la menace de guerre commerciale entre les deux premières puissances économiques mondiales, voyant dans les annonces de Donald Trump la base des négociations qui se sont amorcées et devraient éviter un conflit ouvert.

"Les exportations nettes ne représentent qu'une part marginale de l'économie chinoise: 0,6 point sur la croissance 2017, pour être précis. Et encore, c'est un plus haut depuis dix ans", indique également Bernard Aybran, directeur général délégué chez Invesco.

"Comme souvent, il y a une disproportion entre le bruit fait par une nouvelle et les faits", ajoute-t-il.

D'autant que les nombreuses exemptions finalement accordées sur l'acier et l'aluminium ont fait espérer que "la montagne accouche d'une souris".

"Si cette poussée protectionniste de M. Trump est liée à l'échéance des élections de mi-mandat, il n'en demeure pas moins que le président américain joue vis-à-vis de la Chine à un jeu dangereux", observent les stratèges de la Financière de l'Echiquier. "La peur d'une guerre commerciale d'envergure n'a probablement pas fini d'inquiéter les marchés".

UN RALENTISSEMENT AU 1ER TRIMESTRE

Le deuxième trimestre s'ouvre également sur une incertitude croissante quant au rythme de l'activité économique aux Etats-Unis et en Europe.

Après un niveau de croissance meilleure qu'escompté au quatrième trimestre 2017, la progression du produit intérieur brut (PIB) américain devrait avoir sensiblement ralenti sur les trois premiers mois d 2018.

La Fed d'Atlanta prévoit une croissance à 1,9% en rythme annualisé sur janvier-mars, alors qu'elle tablait encore sur un taux à 3,5% au début du mois.

En zone euro, les entreprises ont achevé le premier trimestre sur une croissance bien plus faible que prévu, la moins marquée depuis plus d'un an, en raison notamment de l'impact de la vigueur de l'euro sur les carnets de commandes.

Les récents indices PMI ont ainsi nourri les craintes concernant un éventuel pic atteint sur l'activité économique en Europe.

"Je reste assez optimiste tant que les indices restent entre 54 et 56. Quand on discute avec les entreprises, elles indiquent que 2018 s'annonce bien, qu'elles peuvent embaucher et investir", indique Alain Pitous. "Tout ça fait penser à une période de consolidation sur les marchés, qui ne se fait pas sans mauvaise nouvelle."

Pour le gérant, les marchés d'actions devraient pouvoir monter en 2018 au même rythme que la progression des résultats des entreprises, mais pas plus.

Dans le contexte de marché tendu, les périodes de publications vont devenir de plus en plus sensibles, ajoute-t-il, prévenant que toute prudence excessive des entreprises sur leurs prévisions peut être très lourdement sanctionnée.

"Contrairement à 2017, où il était difficile de sortir du marché, nous n'hésitons pas à prendre des profits sur un titre et à garder du cash pour chercher des points d'entrée et profiter d'opportunités".

(édité par Marc Angrand)