Les violences reprennent à Kiev, l'UE se mobilise
par Richard Balmforth et Pavel Polityuk KIEV (Reuters) - Les manifestants hostiles au président ukrainien Viktor Ianoukovitch ont repris jeudi le contrôle de la place de l'Indépendance à Kiev après de nouveaux affrontements avec la police anti-émeutes à l'issue desquels des corps recouverts de couvertures gisaient à même le sol. Un photographe de Reuters a vu 15 cadavres sur ou à proximité de la place, surnommée Maïdan, occupée par des manifestants depuis que Viktor Ianoukovitch a renoncé en novembre à un accord d'association avec l'Union européenne au profit d'un rapprochement avec la Russie. Sur des images de la télévision ukrainienne, on a pu voir des policiers emmenés de force par des hommes en tenue de combat. Lançant des pierres et des bombes incendiaires, des manifestants ont chargé en direction de secteurs de la place proches de la présidence et du parlement occupés par les forces de l'ordre depuis un assaut mardi soir. Avant les nouveaux affrontements survenus jeudi, le ministère de la Santé a annoncé un bilan de 28 morts depuis les violences de mardi, les plus meurtrières depuis l'indépendance ukrainienne acquise en 1991 de l'URSS. Les deux camps s'accusent réciproquement d'avoir recours à des tirs à balles réelles. Les médias ukrainiens ont rapporté que le Parlement avait été évacué. La rencontre prévue au siège de la présidence entre Viktor Ianoukovitch et les ministres des Affaires étrangères français (Laurent Fabius), allemand (Frank-Walter Steinmeier) et polonais (Radoslaw Sikorski) n'a pu avoir lieu comme prévu. "Fumée noire, détonations et coups de feu autour du palais présidentiel. Rencontre déplacée à un autre endroit. Responsables pris de panique", a écrit Radoslaw Sikorski sur Twitter. SANCTIONS Des diplomates ont par la suite précisé que la rencontre avait bel et bien lieu à Kiev. Laurent Fabius a pour sa part diffusé sur Twitter des images de sa rencontre avec des chefs de file de l'opposition. Les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne doivent se retrouver dans l'après-midi à Bruxelles pour évoquer d'éventuelles sanctions contre des responsables ukrainiens jugés responsables des violences. Les Etats-Unis ont d'ores et déjà imposé des interdictions de visas à l'encontre de 20 personnalités ukrainiennes. Le président américain Barack Obama a jugé mercredi que "le gouvernement (ukrainien) a la responsabilité de faire en sorte que nous allions vers une forme de gouvernement d'union nationale, même transitoire, qui débouche sur des élections libres et honnêtes de manière à ce que le peuple ukrainien puisse exprimer sa volonté sans le type de chaos auquel nous avons assisté dans les rues." Prié de dire s'il voyait dans la crise en Ukraine, notamment, le reflet de tensions entre Etats-Unis et Russie, il a répondu par la négative: "Notre démarche, aux Etats-Unis, n'est pas de voir là quelque partie d'échec, digne de la guerre froide, que nous disputerions avec la Russie". RELENTS DE GUERRE FROIDE De la crise ukrainienne émanent néanmoins des relents de Guerre froide. Le vice-ministre russe des Affaires étrangères Grigori Karassine a ainsi jugé inopportunes les exigences formulées par les pays occidentaux, en visant explicitement les propos de Laurent Fabius en faveur de la tenue d'élections en Ukraine. Vladimir Poutine s'est engagé en décembre à fournir une aide de 15 milliards de dollars (11 milliards d'euros) et à réduire les tarifs du gaz vendu à l'Ukraine après la décision de Viktor Ianoukovitch de ne pas signer un accord d'association avec l'Union européenne. Le gouvernement russe avait annoncé lundi que Moscou allait aider l'Ukraine dès "cette semaine" en achetant l'équivalent de deux milliards de dollars (1,46 milliard d'euros) d'obligations ukrainiennes libellées en euros. Dmitri Peskov, porte-parole du président russe, a cependant déclaré jeudi que ce versement dépendait de la normalisation de la situation en Ukraine. Le Premier ministre russe, Dmitri Medvedev, a pour sa part souligné que la coopération avec l'Ukraine nécessitait qu'il y ait à Kiev des autorités "légitimes et efficaces". La crise alimente les craintes d'une partition du pays entre l'ouest favorable à un rapprochement avec l'UE et l'est russophone tourné vers Moscou. A Lviv, bastion du nationalisme ukrainien depuis l'époque soviétique, l'assemblée régionale a proclamé mercredi son autonomie à l'égard du gouvernement de Viktor Ianoukovitch. Eric Faye et Bertrand Boucey pour le service français, édité par Marc Angrand