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Les Kurdes pressent pour une fédération dans le nord de la Syrie

par Tom Perry BEYROUTH (Reuters) - Alors que l'Onu ne parvient pas à trouver un terrain d'entente entre rebelles et pouvoir syriens, les organisations kurdes qui occupent le nord de la Syrie progressent rapidement dans la création d'un système fédéral de nature à redessiner la carte du pays au grand dam de la Turquie. Les trois zones autonomes tenues par les Kurdes, le long de la frontière turque, avaient approuvé en mars la création d'un "système fédéral démocratique du Rojava", nom kurde désignant la partie septentrionale de la Syrie. Un responsable kurde a expliqué que la rédaction d'une constitution, baptisée "contrat social", était presque achevée et que son adoption par une assemblée de 151 membres pourrait être suivie dans un délai de trois mois par l'élection d'une instance législative, la Conférence du peuple, puis par celle d'assemblées régionales. L'ensemble du processus pourrait prendre six mois, voire moins, selon les dirigeants kurdes. Les Kurdes affirment ne pas nourrir d'ambitions séparatistes mais rappellent que les efforts de l'Onu pour trouver une solution à un conflit qui dure depuis plus de cinq ans se trouvent dans l'impasse et qu'aucune solution ne semble devoir se dégager à court terme. A l'appui de leur démarche, les Kurdes font valoir que leurs milices YPG (Unités de protection du peuple) jouent un rôle moteur au sein des Forces démocratiques syriennes (FDS), alliance de groupes combattants kurdes et arabes engagés dans la lutte contre l'organisation Etat islamique (EI). Sur le terrain, les progrès sont notables et les rebelles sont parvenus à isoler totalement la ville de Manbij, dernier bastion des djihadistes près de la frontière avec la Turquie. La semaine passée, a été discutée avec les membres des FDS le projet d'intégrer chaque nouveau territoire libéré au sein du système fédéral du Rojava. "Nous leur avons expliqué l'idée du projet sur lequel nous travaillons et nous leur avons fait part de notre désir que Manbij fasse partie de la zone fédérale démocratique après sa libération", a déclaré Hadiya Youssef, coprésidente de l'assemblée qui pilote le projet. CONTINUITÉ TERRITORIALE Selon elle, la proposition a été bien accueillie mais toute décision définitive devra être entérinée par un organe représentatif pérenne et non par l'actuelle structure transitoire. Un membre du conseil municipal de Manbij a dit à Reuters s'attendre à se voir présenter le projet de système fédéral, tout en reconnaissant que son approbation ne relevait pas de sa compétence. La fédération politique réclamée par les Kurdes s'étendrait sur les trois régions autonomes sur lesquelles l'YPG ont établi leur contrôle depuis le début de la guerre civile en Syrie. Les miliciens kurdes soutenus par les Etats-Unis ont peu à peu étendu ce territoire, réussissant à reprendre la ville de Tal Abyad à l'EI en octobre. Les Kurdes syriens ne cachent pas leur volonté de créer une continuité territoriale en réunissant les régions de Kobané et Djézireh contiguës dans le nord-est de la Syrie avec celle d'Afrine située au nord-ouest. Pour ce faire, ils doivent prendre le contrôle d'une bande de territoire de 80 km de long englobant Manbij le long de la frontière turque et dans laquelle opèrent des rebelles soutenus par la Turquie hostiles aux YPG. Ankara considère ces milices comme des émanations du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), interdit en Turquie pour terrorisme. Les Kurdes doivent également composer avec l'hostilité des Etats-Unis, du gouvernement syrien de Bachar al Assad et même de l'opposition syrienne qui soutiennent l'idée d'une Syrie unifiée et non religieuse. Des rencontres ont été organisées avec les Etats-Unis, la Russie et les Européens pour leur expliquer que les Kurdes ne souhaitaient pas constituer un Etat indépendant, a précisé Haidya Youssef. Les Kurdes ont aussi écrit à Barack Obama et à Staffan de Mistura, le négociateur de l'Onu pour la Syrie, qui n'a pas convié le Parti de l'Union démocratique (PYD), principale formation politique kurde de Syrie, aux négociations indirectes de paix à Genève. "Nous espérons faire accepter ce plan et nous travaillons à obtenir un soutien international, national et régional", a précisé Haidya Youssef. (Pierre Sérisier pour le service français, édité par Tangi Salaün)