Les islamistes pakistanais poussent la religion au coeur du débat électoral

Au Pakistan. Plus de 1.500 candidats issus de mouvements religieux nouveaux ou anciens briguent des sièges dans les assemblées nationales et provinciales dans les élections législatives du 25 juillet au Pakistan, alors qu'ils n'étaient que quelques centaines en 2013. /Photo prise le 23 juillet 2018/REUTERS/Faisal Mahmood

par Asif Shahzad et Kay Johnson

LAHORE, Pakistan (Reuters) - Soupçonné d'être le cerveau des attentats qui ont fait 166 morts en 2008 à Bombay, l'imam pakistanais Hafiz Saeed est l'un des islamistes les plus recherchés par les Etats-Unis.

Dans son pays, ses associations caritatives sont interdites, de même que le parti politique fondé par ses partisans, mais rien de tout cela ne l'a empêché de mener campagne pour les élections législatives du 25 juillet en taxant le gouvernement sortant de "trahison".

"La politique des laquais de l'Amérique touche à sa fin !", a-t-il lancé récemment lors d'un meeting électoral à Lahore, dans l'est du pays, où ses partisans l'ont couvert de pétales de rose.

La Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz (PML-N) de l'ancien Premier ministre Nawaz Sharif, destitué en juillet dernier pour corruption, et le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI) dirigé par l'ancien champion de cricket Imran Khan, qui aurait l'appui de l'armée, sont les favoris du scrutin de mercredi, mais une multitude de mouvements ultra-islamistes sont en lice et pourraient remodeler le paysage politique de cette puissance nucléaire peuplée de 208 millions d'habitants.

La prolifération des partis religieux semble être le fruit des intentions de l'armée, qui a proposé d'intégrer les extrémistes à la vie politique pour les détourner de la lutte armée. Ils ne devraient obtenir que peu de sièges parlementaires, mais réformistes et laïques considèrent que leur nombre et leur rhétorique conservatrice ont d'ores et déjà chamboulé le débat politique, en incitant les partis de gouvernement à adopter des positions plus radicales.

"La tentative ostensible d'intégration de la droite religieuse n'incite pas ces partis à prendre des positions relativement modérées. Elle radicalise au contraire le courant dominant", résume Saroop Ijaz, un avocat membre de Human Rights Watch.

1.500 CANDIDATS RELIGIEUX

Plus de 1.500 candidats issus de mouvements religieux nouveaux ou anciens briguent des sièges dans les assemblées nationales et provinciales, alors qu'ils n'étaient que quelques centaines en 2013.

Les partis islamistes ont toujours existé au Pakistan mais les nouveaux venus sont souvent beaucoup plus radicaux que les anciens, notamment à l'égard des membres de la PML-N au pouvoir.

Le Tehreek-e-Labaik Pakistan, qui présente 566 candidats, mène ainsi campagne sous le mot d'ordre "Mort aux blasphémateurs !" en visant particulièrement la PML-N.

Il lui reproche d'avoir essayé, en vain, de retoucher légèrement le code électoral, ce qui avait provoqué d'immenses manifestations au cours desquelles au moins sept personnes ont perdu la vie.

Le gouvernement proposait qu'en proclamant que Mahomet est le dernier prophète de l'islam, il ne serait plus nécessaire de dire "Je jure solennellement" mais simplement "Je crois".

La question du blasphème et celle de ce qui peut être considéré comme tel se sont également invitées dans la campagne d'Imran Khan qui s'en est expliqué dans une récente interview à Reuters.

"Vous ne pouvez être musulman si vous ne croyez pas que le Prophète, notre Prophète, est le dernier prophète", avait-il alors déclaré. "Donc, le redire et le soutenir est une manière d'affirmer sa foi".

Si le Tehreek-e-Labaik est une formation dûment enregistrée auprès des autorités, d'autres mouvements officiellement interdits présentent tout de même des candidats.

L'ARMÉE À LA MANOEUVRE ?

La commission électorale a ainsi interdit cette année à l'organisation d'Hafiz Saeed de se transformer en mouvement politique. Cela n'a pas empêché les partisans de l'organisateur présumé des attentats de Bombay de se présenter sous les couleurs d'un parti politique déjà constitué et de mener campagne en utilisant des affiches à son effigie.

Cette méthode a été reproduite par le groupe Ahl-e-Sunnat Wal Jamaat (ASWJ), qui présente des dizaines de candidats sous un nom différent alors qu'il est considéré comme l'aile politique du Lashkar-e-Jhangvi (LeJ), responsable de la mort de centaines de chiites pakistanais.

Selon plusieurs sources de Reuters, l'armée pakistanaise soutiendrait ces méthodes, jugeant qu'elles pourraient permettre de diminuer le niveau de violence.

Mais certains adversaires pensent que cela témoigne surtout d'une volonté de faire émerger de nouveaux partis ultra-religieux susceptibles de puiser dans l'électorat le plus conservateur de la PML-N de Nawaz Sharif et de conférer une légitimité aux islamistes.

"Il faut s'occuper d'eux", explique Raza Rumi, spécialiste de la vie politique pakistanaise. "Cette élection peut avoir valeur de test pour voir jusqu'où peut aller l'intégration de ces groupes."

De l'avis de nombreux observateurs, les islamistes les plus extrémistes ne devraient pas décrocher plus d'une dizaine de sièges au Parlement.

Pour l'essayiste Ayesha Siddiqa, il s'agirait d'une manoeuvre de l'armée pour renforcer son pouvoir sur la politique étrangère et sur l'économie en réduisant l'influence des principaux partis politiques.

"L'armée veut transformer et reprendre en main le discours national", dit-elle. "Ils veulent fonder un nouveau nationalisme. Ils veulent une nouvelle identité et cette identité est une identité islamique."

(Avec Mubasher Bukhari à Lahore et Saad Sayeed à Islamabad, Jean-Philippe Lefief et Nicolas Delame pour le service français)