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Les djihadistes aux portes de Kobani, Ankara sommée d'intervenir

par Ayla Jean Yackley et Alexander Dziadosz BEYROUTH/SURUC, Turquie (Reuters) - Les djihadistes de l'Etat islamique qui assiègent Kobani, ville de Syrie proche de la frontière turque, ont encore gagné du terrain jeudi malgré les raids aériens de la coalition formée par les Etats-unis, alimentant l'exode vers une Turquie de plus en plus impliquée dans le conflit. Les combattants de l'EI, qui tiennent plusieurs centaines de villages des alentours où ils multiplient les exécutions sommaires pour terroriser la population, ne sont plus qu'à quelques centaines de mètres de cette ville a dominante kurde, rapporte l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). Abdullah Öcalan, chef de file du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), a réclamé l'intervention d'Ankara pour empêcher le massacre de la population qui entraînerait, dit-il, la rupture des négociations entamées pour mettre fin au conflit séparatiste. En Irak, où l'Etat islamique reste également très actif, les Nations unies lui imputent des exactions "effarantes" qui relèvent du crime de guerre, telles qu'exécutions de masse, esclavage sexuel et enrôlement d'enfants. Les forces de la coalition internationale ont bombardé mercredi un village proche de Kobani. D'autres raids aériens ont été signalés dans la nuit plus au sud, ce qui n'a semble-t-il pas enrayé la progression des djihadistes. Selon l'OSDH, ils ont donc atteint les faubourgs de la ville après 36 heures de combats avec les miliciens kurdes des Unités de défense populaires (YPG). Une vingtaine d'explosions vraisemblablement dues à des tirs de missiles de la coalition ont retenti dans le secteur du barrage de Tichrine et de Manbidj, à une cinquantaines de km au sud de Kobani, a indiqué l'organisation proche de l'opposition syrienne qui dresse le bilan quotidien des combats. Des raids aériens avaient par ailleurs été signalés vers minuit. Selon Asya Abdullah, représentante du Parti de l'union démocratique, principale formation kurde de Syrie, les assaillants ont progressé de deux à trois kilomètres sur tous les fronts autour de la ville. "S'ils veulent éviter un massacre, (les membres de la coalition) doivent agir plus largement", a-t-elle déclaré à Reuters, jointe par téléphone à Kobani. "Nous combattons l'EIIL de toutes nos forces depuis 18 jours pour sauver Kobani. Nous allons continuer à résister. Ce sont les civils qui vont mourir si la ville tombe, mais nous allons les protéger", a-t-elle dit, ajoutant que les raids des forces étrangères en Syrie avaient poussé les djihadistes vers la frontière. ÖCALAN SOMME ANKARA D'ASSUMER SES RESPONSABILITÉS La Turquie, qui partage 1.200 km de frontières avec l'Irak et la Syrie, a accueilli depuis 2011 un million et demi de réfugiés syriens, mais rechigne à s'impliquer militairement dans le conflit. Le Parlement turc devait se prononcer dans la journée sur une motion permettant aux forces gouvernementales de mener des incursions contre l'EI en Irak et en Syrie et autorisant la coalition à utiliser les installations nationales. Le président Recep Tayyip Erdogan a toutefois souligné que la priorité restait le départ de Bachar al Assad, ce qui ne fait pas partie des objectifs militaires de la coalition. Selon lui, le président syrien est directement responsable de l'émergence de l'Etat islamique et son maintien au pouvoir ne ferait qu'alimenter l'instabilité à ses frontières. Il redoute en outre que la situation ne profite aux séparatistes du PKK, qui ont entamé un processus de paix fragile avec Ankara. "Si cette tentative de massacre parvient à ses fins, cela signera l'arrêt du processus", a prévenu Abdullah Öcalan, chef de file du PKK, dans un communiqué rendu public par une délégation d'un parti pro-kurde qui lui a rendu visite en prison. "Je demande à tous ceux, en Turquie, qui ne veulent pas que le processus de paix et la démocratie échouent, d'assumer leurs responsabilités à Kobani", a-t-il ajouté. D'après le député allemand Rolf Mützenich, expert des relations internationales et des questions de sécurité, une intervention turque en Syrie pourrait également viser le PKK, ce qui donnerait une nouvelle tournure à un conflit aux conséquences déjà imprévisibles. En Irak, les forces peshmerga kurdes qui ont reçu l'appui d'une tribu sunnite sont parvenues à chasser les djihadistes d'une position stratégique à la frontière syrienne. Dans l'Ouest, en revanche, les combattants de l'EI se sont emparés de la majeure partie de Hit, ville de la province d'Anbar sur le cours de l'Euphrate, a-t-on appris de sources proches des services de sécurité irakiens et auprès de responsables. (Avec Daren Butler à Istanbul, Stephen Brown à Berlin, Rahim Salman à Baghdad, Stephanie Nebehay à Genève; Jean-Philippe Lefief pour le service français, édité par Tangi Salaün)