Les diplomates américains quittent le Venezuela, où arrivent des Russes

par Marcos Ascanio

CARACAS (Reuters) - Plusieurs diplomates ont quitté vendredi en milieu de journée l'ambassade des Etats-Unis à Caracas en direction de l'aéroport de la capitale vénézuélienne, ont rapporté des témoins, alors que Washington veut faire monter la pression sur le président Nicolas Maduro.

Jeudi, le département d'Etat américain a ordonné à certains membres de son personnel diplomatique de quitter le Venezuela et a également conseillé aux ressortissants américains de partir, après que Donald Trump a reconnu Juan Guaido comme nouveau chef de l'Etat au Venezuela.

Le président Nicolas Maduro a en conséquence rompu les relations diplomatiques avec les Etats-Unis, décidé la fermeture de l'ambassade et des consulats du Venezuela aux Etats-Unis et demandé mercredi au personnel diplomatique américain de quitter le pays sous 72 heures.

Le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo participera samedi à New York à une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, auquel il demandera de reconnaître Juan Guaido comme président par intérim du pays d'Amérique latine.

Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a prévenu vendredi que Moscou s'opposerait à la "politique destructrice" des Etats-Unis. En visite à Rabat, au Maroc, il a dénoncé les "appels au coup d'Etat" de Washington.

Nicolas Maduro a de son côté tourné en dérision l'initiative des Etats-Unis. "J'allais dire au ministère des Affaires étrangères de demander un débat au Conseil de sécurité (mais) Mike Pompeo m'a devancé", a ironisé le président vénézuélien. "Merci Mike... Nous allons dire la vérité sur la Constitution, sur le coup d'Etat."

Jeudi soir, au lendemain de sa prestation de serment unilatérale en tant que chef de l'Etat par intérim, Juan Guaido a dit vouloir organiser au plus vite de nouvelles élections.

"RÉGIME DICTATORIAL"

Forte du soutien des Etats-Unis et d'autres pays, l'opposition vénézuélienne entend continuer d'exercer sa pression sur le président Maduro, réélu à la tête du pays en mai dernier à l'issue d'un scrutin boycotté par l'opposition.

Dans un entretien télévisé à Univision, Juan Guaido a déclaré qu'il s'agissait "du début de la fin" pour Nicolas Maduro et qu'il allait oeuvrer à l'acheminement d'une aide humanitaire et à la mise en place de nouvelles mesures économiques pour lutter contre l'hyperinflation dans le pays.

"Notre défi est de garantir la tenue d'élections libres, et nous les voulons le plus vite possible. Mais nous vivons sous un régime dictatorial", a-t-il dit depuis un lieu tenu secret.

Juan Guaido a proposé d'amnistier les membres de l'armée et les représentants qui désavoueraient Nicolas Maduro. Il a ajouté qu'il pourrait étendre son offre à des membres du gouvernement, voire à Maduro lui-même si celui-ci quittait ses fonctions de son plein gré.

Il a également reçu le soutien du Canada et des gouvernements latino-américains orientés à droite, comme le Brésil et la Colombie. L'Union européenne et la plupart de ses Etats membres, dont l'Espagne et la France, ont appelé à la tenue d'élections démocratiques.

Le Canada accueillera en février ou en mars une réunion des pays membres du groupe de Lima, une organisation panaméricaine réunissant 14 Etats qui ont, dans leur grande majorité, apporté leur soutien à Guaido.

A l'inverse, le Mexique, la Turquie, la Chine et la Russie ont apporté leur soutien à Nicolas Maduro, Moscou mettant particulièrement en garde contre toute tentative d'intervention militaire américaine.

MERCENAIRES RUSSES

Des agents de sécurité privée russes, qui participent aux opérations militaires à l'étranger pour le compte du Kremlin, sont arrivés ces derniers jours à Caracas pour renforcer la sécurité du président vénézuélien, a-t-on appris de sources proches de ces groupes paramilitaires à Moscou.

L'une de ces sources, proche du groupe Wagner, qui a notamment participé aux conflits en Ukraine et en Syrie, a précisé que certains agents étaient présents depuis l'élection présidentielle de l'an dernier et que d'autres étaient arrivés "récemment".

Un chef d'un autre groupe, les Cosaques, Evguéni Chabaïev, a estimé à environ 400 le nombre de mercenaires russes déployés au Venezuela.

Plus que des Russes, l'issue de la crise dépend en bonne partie de l'attitude de l'armée vénézuélienne, que Juan Guaido a appelée à se rallier à lui, mais dont les principaux chefs, dont le ministre de la Défense Vladimir Padrino, ont jusqu'à présent fait bloc derrière Nicolas Maduro.

Juan Guaido a réitéré son appel vendredi, appelant les militaires à "se ranger du côté de la Constitution".

"Personne ne veut d'un faux dialogue. La seule chose que nous voulons négocier, c'est la fin de l'usurpation", a-t-il déclaré devant une foule rassemblée sur une place du quartier de Chacao, un bastion de l'opposition à Caracas.

Quatorze personnes au moins ont été tuées depuis le début de la nouvelle vague de manifestations antigouvernementales mardi, selon les ONG vénézuéliennes.

Michelle Bachelet, haut commissaire de l'Onu aux droits de l'homme, a réclamé l'ouverture d'une enquête indépendante sur le recours à la force contre les partisans de l'opposition vénézuélienne.

De nombreux opposants craignent que Juan Guaido ne soit arrêté, comme son mentor, Leopoldo Lopez, maintenu en résidence surveillée depuis les manifestations de 2014.

(Avec Lesley Wroughton à WASHINGTON, Ahmed Eljechtimi à RABAT, Maria Tsvetkova et Anton Zverev à MOSCOU ; Jean Terzian, Guy Kerivel et Tangi Salaün pour le service français)