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Les adversaires d'Erdogan ont du mal à passer dans les médias

par Ece Toksabay

ANKARA (Reuters) - Dans le mois précédant les élections de dimanche en Turquie, la TRT, principale chaîne de télévision publique, a consacré 67 heures de son temps d'antenne à Recep Tayyip Erdogan et à son parti, l'AKP, contre sept seulement pour son principal rival, Muharrem Ince, selon le décompte effectué par deux des membres de la RTUK, le Conseil suprême de la radio et de la télévision.

Ismet Demirdogen, un des quatre hauts conseillers de la RTUK désignés par l'opposition - les cinq autres sont nommés par la majorité -, ajoute que le phénomène est similaire sur les chaînes de télévision privées.

Pour les adversaires d'Erdogan, le quasi-monopole dont le président turc jouit dans les médias constitue le principal obstacle à la tenue d'élections libres et équitables, avant le fait que le scrutin se déroule sous le régime de l'état d'urgence proclamé après la tentative de coup d'Etat de juillet 2016.

"Ils se servent de nos impôts pour financer des émissions pro-gouvernementales", dénonce Umit Ozdag, vice-président du parti d'opposition Iyi, qui n'a eu pour sa part que douze minutes de temps d'antenne.

Dans son rapport annuel sur la liberté de la presse, l'association Reporters sans Frontières a classé en avril la Turquie au 157e rang sur 180, estimant que 90% environ du contenu des journaux turcs est favorable au gouvernement.

En mars, le groupe Dogan Holding, longtemps considéré comme un pilier des élites laïcs turques, a vendu le quotidien Hurriyet, journal le plus vendu du pays, et plusieurs chaînes dont CNN Turk au groupe Demiroren Holding, qui possédait déjà deux quotidiens pro-gouvernementaux.

Depuis le putsch avorté, plus de 120 journalistes ont été arrêtés et plus de 180 titres de presse ou médias ont été fermés pour liens présumés avec Fethullah Gülen, le prédicateur exilé aux Etats-Unis considéré par Ankara comme l'instigateur du complot contre Erdogan.

En avril, la justice a condamné 14 salariés du quotidien Cumhuriyet - un des derniers titres critiques envers la politique d'Erdogan - à des peines de prison pour terrorisme et soutien à Gülen. Ils ont tous fait appel et ont été remis en liberté provisoire.

La Turquie ne compte plus désormais qu'une poignée de journaux qui ne soient pas alignés sur la politique d'Erdogan. Conséquence: "Les électeurs n'ont qu'un accès très limité à une information indépendante et à des commentaires non contrôlés par le gouvernement sur l'ensemble des candidats et des partis engagés dans cette élection", écrivait au début du mois l'organisation Human Rights Watch.

DE LA PROPAGANDE, RÉPLIQUE LE PATRON DE LA RTUK

Ilhan Yerlikaya, qui dirige la RTUK, dément qu'Erdogan ait bénéficié d'une couverture médiatique privilégiée et il assure que seule une fraction des plaintes reçues par le Conseil suprême de la radio et de la télévision concerne un déséquilibre apparent dans la couverture des élections présidentielle et législatives de dimanche.

"Des organisations terroristes mènent une campagne d'image contre la Turquie en utilisant une propagande destinée aux Européens et affirmant que la liberté de la presse n'existe pas en Turquie", a-t-il dit à l'agence de presse Anadolu.

Yerlikaya a décliné une demande d'interview, et la direction de la TRT n'a pas souhaité faire de commentaire sur ce sujet.

Le gouvernement turc, lui, se défend de toute ingérence dans les médias. "Ce n'est pas le gouvernement ou un parti politique qui décide du temps d'antenne des candidats ou des partis à la télévision. Les institutions médiatiques prennent leurs décisions sur la base de la valeur des informations", a déclaré à Reuters une source gouvernementale sous couvert d'anonymat.

A en croire de récents sondages, l'issue du scrutin pourrait être plus serrée que ne l'anticipaient les observateurs lorsqu'Erdogan, en avril dernier, a convoqué ces élections anticipées.

Le président sortant qui vise un nouveau mandat pourrait être contraint à un second tour et l'AKP perdre la majorité absolue qu'elle a retrouvée aux élections législatives de novembre 2015.

(avec Ali Kucukgocmen à Istanbul et Orhan Coskun à Ankara; Henri-Pierre André pour le service français)