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Les Abenomics ne font plus recette à la Bourse du Japon

par Hideyuki Sano et Tomo Uetake

TOKYO (Reuters) - Quand Shinzo Abe, redevenu Premier ministre, avait lancé il y a trois ans son programme en trois volets, connu sous le nom d'Abenomics, pour relancer l'activité et écarter définitivement la menace déflationniste au Japon, la Bourse avait salué chacune des nouvelles mesures.

Ce n'est plus le cas.

Shinzo Abe a tout juste commencé à préparer la troisième "flèche" des Abenomics, les réformes structurelles visant à améliorer la productivité, alors qu'il avait rapidement mis en oeuvre les deux premières - la politique budgétaire de relance et la stimulation monétaire - avec le soutien enthousiaste du gouverneur de la Banque du Japon (BoJ) Haruhiko Kuroda.

Au cours de la première année de ce programme de relance, l'indice Nikkei a gagné près de 60%, attirant 15.000 milliards de yens (119,2 milliards d'euros) de fonds étrangers sur le marché. L'accueil fait aux mesures audacieuses d'Haruhiko Kuroda a été particulièrement positif, chacune de ses deux annonces d'injections de liquidités dans l'économie ayant provoqué un bond de 7% de la Bourse en une semaine.

Sa décision la semaine dernière d'imposer des taux d'intérêt négatifs était également hardie, et plutôt inattendue, mais les investisseurs, constatant que Shinzo Abe était loin d'avoir atteint ses objectifs, n'ont pas bougé sur la nouvelle.

"La réaction du marché est chaque jour un peu plus morne. Les taux négatifs ne l'ont soutenu que pendant deux jours", note Norihiro Fujito, analyste chez Mitsubishi UFJ Morgan Stanley Securities, qui ajoute que les données du marché montrent que même ce mouvement était le fait de spéculateurs de court terme.

Une semaine plus tard, ces gains ont d'ailleurs été effacés, les investisseurs étrangers ayant réalisé 207 milliards de yens de retraits nets du marché, ce qui porte le total des retraits depuis le début de l'année à 1.000 milliards de yens. Les fonds d'actions japonaises basés aux Etats-Unis ont également fait l'objet d'un flux net de retraits dans la semaine au 3 février.

RÉFORMES STRUCTURELLES

Et même si le Nikkei a progressé de 36% depuis l'arrivée d'Haruhiko Kuroda à la tête de la BoJ en mars 2013, le yen s'est affaibli, passant de 95 à 117 pour un dollar sur la période, ce qui fait qu'en dollars, la hausse de l'indice n'a été que de 10%, soit deux fois moins que celle de l'indice américain S&P-500.

Il semble difficile de contester le pessimisme des investisseurs étrangers alors que les Abenomics n'ont pas réussi à sortir le pays de dix années de stagflation.

De nombreux économistes s'attendent à ce que le PIB se soit encore contracté lors du trimestre écoulé, pour la cinquième fois au cours des neuf derniers trimestres.

L'objectif premier d'Haruhiko Kuroda, qui est d'atteindre une hausse des prix de 2%, reste éloigné, avec une inflation bloquée autour de zéro en raison de la chute du pétrole.

De plus, le yen reste près de son plus haut en plus d'un an, ce qui n'encourage pas l'optimisme des entreprises exportatrices japonaises.

Les "vents contraires", que sont le ralentissement en Chine, la faiblesse de la demande extérieure et la déroute du marché pétrolier, sont des facteurs sur lesquels les dirigeants japonais ne peuvent avoir aucune influence.

"Les taux négatifs auront peu d'impact pour relancer la prospérité et la croissance économique (...). Ils permettent de déprécier la devise et de soutenir les cours des actifs dans une certaine mesure", dit Michael Kretschmer, responsable de l'investissement chez Pelargos Capital à La Haye, qui note que cela n'empêchera pas la croissance mondiale de rester faible.

Certains investisseurs s'accrochent à l'espoir de voir Shinzo Abe sortir sa troisième flèche: les réformes structurelles améliorant par exemple la flexibilité du marché du travail.

Mais ils n'en attendent pas non plus des merveilles.

"La réforme de l'économie réelle aura un impact à long terme. Je ne peux donc qu'espérer que les Abenomics ne s'essouffleront pas d'ici là", dit Hannah Cunliffe, gérante chez Union Investment à Francfort.

(Juliette Rouillon pour le service français, édité par Véronique Tison)