L'Egypte se rapproche du Hamas pour sécuriser le Sinaï
par Lin Noueihed et Nidal al-Mughrabi LE CAIRE/GAZA (Reuters) - Après des années de tensions, l'Egypte a entamé un rapprochement avec le Hamas à Gaza, à qui elle fait miroiter des concessions sur la liberté de commercer et circuler en échange de mesures contre les insurgés du Nord-Sinaï affiliés à l'Etat islamique. Ces dernières semaines, les autorités du Caire ont assoupli les restrictions séparant l'Egypte de l'enclave palestinienne, qui vit sous blocus israélien, en autorisant des camions de vivres ou autres fournitures à pénétrer dans la bande côtière. Cette amorce de détente est le résultat d'entretiens à haut niveau menés par des cadres du mouvement islamiste palestinien avec une Egypte soucieuse de restaurer son statut de puissance régionale et d'écraser l'insurrection armée au Sinaï menée par le groupe Ansar Bayt al Makdis, devenu l'Etat islamique-Province du Sinaï en 2014. Elle s'appuie sur ce que des sources égyptiennes et palestiniennes présentent comme des efforts du Hamas pour empêcher les djihadistes de la péninsule d'entrer et sortir du territoire, où des centaines de membres des forces de sécurité égyptiennes ont trouvé la mort depuis le renversement des Frères musulmans en 2013 par le général Abdel Fattah al Sissi, devenu chef de l'Etat un an plus tard. Ces changements pourraient marquer une nouvelle ère de coopération entre Le Caire et Gaza, espère-t-on des deux côtés de la frontière. "Nous voulons coopérer dans le contrôle des frontières et des tunnels, dans la remise des auteurs d'attaques armées et un boycott des Frères musulmans. Ils veulent ouvrir la frontière et augmenter les échanges", souligne un haut responsable de la sécurité égyptienne. "Cela a débuté, mais de manière partielle. Nous espérons que cela va se poursuivre." UNE RÉGION DÉVASTÉE Le Hamas a commencé à renforcer au cours de l'année écoulée les mesures de sécurité le long de sa frontière avec le Sinaï, en déployant des centaines de gardes et en installant des tours d'observation. Le mouvement, qui contrôle la bande de Gaza depuis juin 2007, affirme également agir contre les activistes opposés à l'accord de cessez-le-feu qu'il a conclu en 2014 avec Israël, par l'intermédiaire de l'Egypte. Le Hamas, dont la charte fondatrice appelle à la destruction de l'Etat hébreu mais qui ne prône pas le djihad (guerre sainte) à l'échelle internationale, se refuse à qualifier ces activistes de djihadistes, et ne dit pas combien il en a interpellé. Il a cependant fait savoir à l'Egypte qu'il n'avait aucun intérêt à alimenter des troubles chez son voisin, à l'origine de la conclusion de plusieurs trêves avec Israël ou entre factions palestiniennes rivales. "Si l'on compare à la situation d'il y a un an, les choses se sont améliorées, mais pas encore comme il faudrait", déclare Mahmoud al Zahar, un haut responsable du Hamas. "Notre peuple a de grands besoins, pour voyager, poursuivre des études ou suivre des traitements médicaux (...) et commercer librement avec l'Egypte." Les couvre-feux, les points de contrôle et les bombardements aériens ont dévasté le paysage du Nord-Sinaï, qui attirait autrefois des touristes sur ses rives. Le Caire aspire à redonner à la région un semblant de normalité et à attirer de nouveau les investisseurs, qui ont délaissé le pays après la chute de l'autocrate Hosni Moubarak en 2011. ZONE FRANCHE Lors de conférences sur les affaires palestiniennes organisées ces derniers mois en Egypte, il a été proposé d'ouvrir la frontière avec Gaza pendant des périodes continues de dix à quinze jours, au lieu de quelques jours toutes les six semaines actuellement. L'objectif ultime étant beaucoup plus ambitieux : créer une zone franche industrielle et commerciale à la frontière égyptienne où les Gazaouis seraient autorisés à se rendre, et d'y favoriser l'emploi pour réduire l'attrait des djihadistes. "Nous réfléchissons à des échanges commerciaux directs (...) mais on n'établit pas la confiance du jour au lendemain", note Tarek Fahmy, du Centre national d'études proche-orientales, lié à l'Etat égyptien, qui a organisé l'an dernier deux conférences palestiniennes. Pour les habitants du Nord-Sinaï, la perspective semble bien lointaine. "On ne peut pas encore parler de commerce. Ici, on vit encore dans une zone de sécurité", dit l'un d'entre eux. (Avec Ahmed Mohamed Hassan au Caire, Jean-Stéphane Brosse pour le service français)