L'Egypte n'a rien à célébrer cinq ans après la chute de Moubarak

Place Tahrir au Caire, épicentre du soulèvement du 25 janvier 2011. A l'approche du cinquième anniversaire des événements ayant débouché sur le renversement d'Hosni Moubarak après 30 années de pouvoir, la vague de répression à l'oeuvre en Egypte témoigne de l'inquiétude des autorités. /Photo prise le 24 janvier 2016/REUTERS/Mohamed Abd El Ghany

par Ahmed Aboulenein LE CAIRE (Reuters) - Ali al Khouly et Mohamed Ali venaient juste de s'asseoir dans un café du Caire quand des agents en civil les ont interpellés et conduits au poste de police. Les policiers voulaient surtout savoir ce que comptaient faire ces deux militants laïques lundi. A l'approche du cinquième anniversaire des manifestations du 25 janvier 2011 ayant débouché sur le renversement d'Hosni Moubarak après 30 années de pouvoir, la vague de répression à l'oeuvre en Egypte témoigne de l'inquiétude des autorités. "Ils ont recours à la tactique de la peur parce qu'ils ont peur eux-mêmes", a déclaré Ali al Khouly à Reuters le lendemain de sa libération. "Je n'ai vraiment aucune idée de la raison pour laquelle j'ai été emmené ni de la raison pour laquelle j'ai été libéré, mais rien ne justifie cette terreur." Alors que des milliers d'opposants se trouvent derrière les barreaux, la probabilité de vastes manifestations contre le pouvoir lundi paraît ténue. Observateurs et militants jugent cependant que la répression actuelle révèle le climat d'insécurité qui s'est répandu en Egypte depuis que, à la tête de l'armée, l'ancien général devenu président Abdel Fattah al Sissi a renversé les Frères musulmans il y a deux ans et demi. Si le chef de l'Etat reste apprécié par une grande partie de la population, Abdel Fattah al Sissi ne jouit plus de la même popularité qu'en juillet 2013, lorsque son portrait -- béret militaire sur la tête et lunettes de soleil devant les yeux -- s'affichait partout, jusque sur les sous-vêtements féminins. Ses promesses de redressement économique peinent à se matérialiser et la menace de violences islamistes reste présente. "Il y a une paranoïa élevée au sein du gouvernement. C'est une manière de reconnaître qu'il y a eu un certain nombre d'échecs", juge Timothy Kaldas, chercheur à l'Institut Tahrir pour la politique au Moyen-Orient. PERQUISITIONS Après le renversement par l'armée du président Mohamed Morsi à la suite de vastes manifestations contre les Frères musulmans parvenus au pouvoir par les urnes, les forces de sécurité ont tué des centaines de partisans de la confrérie islamiste et en ont emprisonné des milliers d'autres tandis que les Frères étaient déclarés organisation terroriste. La répression s'est élargie depuis. Ces dernières semaines, les arrestations se sont multipliées dans les rangs des militants démocratiques, des centres culturels ont été fermés et instruction a été passée aux imams de transmettre aux fidèles le message selon lequel manifester contre le président Sissi est un péché. La police a perquisitionné ces derniers jours dans de nombreux appartements, en particulier dans le centre du Caire près de la place Tahrir, épicentre du soulèvement de 2011. Elle dit avoir découvert des dizaines d'étrangers dont le visa avait expiré, ce qui rappelle les discours du gouvernement Moubarak en 2011, quand des étrangers étaient accusés d'inciter à la contestation. Ali al Khouly et Mohamed Ali ne sont pas des militants de premier rang mais ils ont néanmoins été pris dans le coup de filet et détenus pendant cinq heures au commissariat, dit leur avocat. "C'est un régime qui sait qu'il a quelque chose à craindre. Il sait qu'il n'a pas accompli ce que les Egyptiens attendaient", commente Ayman al Sayyad, rédacteur en chef du journal politique Weghet Nazar. SERMONS EN FORME DE MISE EN GARDE La plupart des Egyptiens ne sont toutefois pas dans une opposition active au président Sissi, remarque Mohamed Ali, et nombre de militants sont désormais las de lutter contre le pouvoir dans un climat d'indifférence généralisée. "Rien ne se passe, on ne peut pas forcer les gens. Même si nous nous opposons au régime, il faut respecter la volonté du peuple", dit Ali al Khouly. Reuters a rencontré trois autres militants qui ont tenu à conserver l'anonymat par crainte de représailles. Tous les trois ont dit qu'ils resteraient chez eux le 25 janvier à la suite des vagues d'arrestations et de la fermeture de leurs lieux de rassemblement. Pas moins de quatre espaces culturels, dont une galerie d'art et une maison d'édition dans le centre du Caire, ont fait l'objet de perquisitions ou ont été fermés au cours du mois écoulé. "Nous avons pris plusieurs mesures pour faire en sorte que les militants n'aient pas d'espace et ne soient pas en mesure de se rassembler, et plusieurs cafés et d'autres lieux de rassemblement ont été fermés, tandis que certains ont été arrêtés pour faire peur aux autres", a dit à Reuters un responsable de l'agence égyptienne de la sécurité intérieure. Le ministère des Dotations religieuses, qui transmet chaque semaine aux prédicateurs thèmes à aborder et formulations à citer lors des prières du vendredi, participe à cette campagne. Les deux derniers sermons hebdomadaires ont ainsi explicitement mis en garde contre toute manifestation le 25 janvier. Dans l'un d'eux, intitulé "La bénédiction de la sûreté et de la sécurité", il est dit que les individus cherchant la déstabilisation commettent un crime grave aux yeux de Dieu. Ayman al Sayyad avertit cependant : "L'oppression nourrit les manifestations et la manifestation est la première étape vers la violence". "Le régime craint de récolter ce qu'il a semé." (Avec Ahmed Mohamed Hassan et Mostafa Hashem, Bertrand Boucey pour le service français)