Législatives : "Une folie", "pays ingouvernable", la menace brandie par la majorité est-elle réelle ?

Les candidats de la NUPES élus au premier tour et Mathilde Panot, chef de file de LFI (Photo by Geoffroy Van der Hasselt / AFP)

En cas de majorité relative pour Ensemble ! à l'Assemblée, ou encore d'une victoire de la NUPES aux élections législatives, les membres de la majorité présidentielle prévoient un sombre avenir politique pour le pays. Qu'en est-il ?

"Une majorité relative" à l'Assemblée serait "une folie", synonyme de "désordre politique qui viendrait s’ajouter à l’instabilité et aux dangers du monde actuel", alerte Edouard Philippe dans Le Figaro. Même son de cloche chez le sénateur LREM Xavier Iacovelli, qui met en garde contre "un blocage de l'Assemblée nationale", en l'absence de majorité absolue, tandis qu'Olivier Véran fait planer le risque d'"une crise institutionnelle qui rendrait le pays ingouvernable", en cas de cohabitation.

Emmanuel Macron a lui-même appelé les Français au "bon sens" et à lui donner "une majorité solide" : "aucune voix ne doit manquer à la République" a lancé le président. Une menace qui sonne comme un argument du côté de la majorité et de ses alliés, réunis sous la bannière Ensemble ! (LREM, Modem, Horizons et Agir), à quelques jours du second tour des législatives.

Vers une majorité relative pour "Ensemble !" ?

Selon les projections d'Ipsos-Sopra Steria, Ensemble ! pourrait obtenir 255 à 295 sièges, contre 150 à 190 pour la Nupes, et 50 à 80 pour LR/UDI/DVD. Des projections qui pourraient toutefois être contredites si la participation venait à évoluer sensiblement au second tour.

La majorité absolue, c'est lorsqu'un parti ou une alliance emporte plus de la moitié des sièges à l'Assemblée nationale, soit au moins 289 sièges, une majorité absolue nécessaire afin de faire voter les lois. Selon ces projections, la partie semble donc mal engagée pour "Ensemble !".

En cas de majorité absolue, Le Modem et Horizons renforcés

Si elle parvient toutefois à l'obtenir, cela renforcera le poids des partis qui composent "Ensemble !", comme le Modem ou "Horizons", dont le vote sera indispensable pour faire voter les lois, et qui pourraient ainsi espérer davantage de poste au gouvernement.

Sauf que, certaines divergences apparaissent déjà, comme sur le "Conseil national de la refondation" évoqué par le président de la République. "Rien ne peut concurrencer l'Assemblée nationale et le Sénat. (...) Il serait absurde de vouloir remplacer le Parlement par autre chose", met en garde Édouard Philippe. Avec entre 20 et 30 députés, le poids du parti d'Édouard Philippe serait important et pourrait limiter la liberté d'agir du gouvernement. Certaines réformes clivantes, comme celle des retraites, pourrait diviser une majorité fragile.

En cas de majorité relative, des accords avec d'autres partis ?

La majorité relative désigne la situation dans laquelle un parti ou une alliance emporte uniquement le plus de sièges par rapport à ses adversaires, sans toutefois obtenir la majorité absolue. Ce qui la contraint à négocier avec des parlementaires d'autres bords pour faire passer des lois à l'Assemblée.

C'est, selon les projections, le scénario privilégié pour "Ensemble !", à qui il manquerait une poignée de députés pour faire passer ses lois, l'obligeant à convaincre ou passer des accords au-delà de sa famille politique.

La majorité relative en 1988

Sous la Ve République, un président s'est déjà retrouvé en situation de majorité relative à l'Assemblée, c'était en 1988, au début du second mandat de François Mitterrand. Avec son nouveau Premier ministre Michel Rocard, François Mitterrand n'emporte que 275 sièges pour les députés socialistes et apparentés. Une situation qui dure 5 ans.

Au cours de cette législature, les gouvernements successifs de Michel Rocard, Édith Cresson et Pierre Bérégovoy doivent parfois négocier avec les 26 députés communistes, ou avec les 40 députés centristes afin de faire adopter la majorité absolue leurs lois. Des concessions parfois à gauche, parfois à droite qui ne suffisent pas à éviter certaines situations de blocage. Michel Rocard avait "recherché une majorité alternative en s’appuyant sur le vote du centre droit, le juriste Guy Carcassonne jouant le rôle de négociateur", rappelle auprès du Parisien le président du comité d’histoire parlementaire, Jean Garrigues.

Vers des accords avec LR ?

En s'inspirant de cette hypothèse, Emmanuel Macron pourrait se tourner vers les députés LR élus afin de faire voter certaines lois. Une hypothèse d'autant plus crédible que des personnalités de la droite comme Nicolas Sarkozy soutiennent le président, et que plusieurs députés LR ont déjà rejoint la majorité présidentielle voire le gouvernement, comme Gérald Darmanin, Bruno Le Maire et récemment Damien Abad.

L'idée est déjà dans les têtes de certains LR, comme Jean-François Copé. "La question se posera de faire un pacte majoritaire, un pacte de gouvernement, et de se mettre d'accord sur un certain nombre de mesures" se demandait-il sur France Inter au soir du premier tour. Parmi les thèmes évoqués pêle-mêle sur France 2 le lendemain matin, "les banlieues, la sécurité, la rigueur budgétaire, une politique d'immigration plus rigoureuse...

En 1988, un large recours au 49.3

Une majorité relative dont LR pourrait se servir pour influer sur la politique d'Emmanuel Macron : "LR sera "une opposition déterminée mais utile", capable de "voter et amender les réformes qui vont dans le bon sens" mais de "s’opposer durement à celles qui vont à contresens de ce que l'on souhaite et à l’intérêt du pays", a affirmé Christian Jacob, président du parti.

En 1988, face à cette majorité relative, le gouvernement avait décidé à 39 reprises d'avoir recours à l'article 49.3 de la Constitution, dont l'usage était alors beaucoup moins restrictif : parmi eux, la loi créant le CSA, le fond de solidarité vieillesse ou encore l'agence du médicament.

Et en cas de cohabitation ?

Aujourd'hui, le recours au 49.3 ne peut désormais s'appliquer qu'aux projets de loi de Finances ou de financement de la Sécurité sociale et à un seul texte de loi par session parlementaire, qui se déroule d'octobre à juin.

Plus improbable mais pas impossible, l'hypothèse d'une cohabitation, dans le cas où une alliance autre que celle du président remporte la majorité à l'Assemblée. L'hypothèse la plus crédible est celle de la Nupes, qui enverrait Jean-Luc Mélenchon à Matignon. Le candidat battu à la présidentielle y croit, misant sur la mobilisation d'une partie des 25 millions d’abstentionnistes.

Des cohabitations parfois difficiles

Une hypothèse déjà vue à plusieurs reprises sous la Ve République, et qui donne davantage de pouvoirs au Premier ministre qu'au Président. En 1986, après les législatives, Jacques Chirac est nommé Premier ministre de François Mitterrand, qui n'hésite pas à s'opposer parfois aux lois du gouvernement. Il déclare ainsi comprendre et être "sur la même longueur d'onde" que les lycéens et les étudiants qui refusent le projet de réforme de l'enseignement supérieur, ou montre encore son désaccord en janvier 1987 quand il reçoit une délégation de cheminots grévistes...

En 1993 la droite remporte les élections législatives et François Mitterrand est alors contraint de nommer à la tête du gouvernement un membre de l'opposition, Édouard Balladur. Moins tendue que la première cohabitation, celle-ci connaît néanmoins quelques moments de friction entre le Président et le Premier ministre, le premier ne se privant pas de se démarquer de l'action du Premier ministre quand il estime que les acquis sociaux sont menacés.

Enfin, en 1997, les rôles politiques sont inversés : Jacques Chirac est contraint de nommer Lionel Jospin Premier ministre après la victoire de la gauche aux législatives. Si le 14 juillet 1999, il avait qualifié la cohabitation de "constructive", il dénoncera en 2001 le "manque de volonté d’agir" du gouvernement "en matière de sécurité" et son "immobilisme" concernant les réformes à entreprendre. Des critiques qu'il distille en Conseil des ministres, soit au cours de déplacements en province.

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