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Leaving Neverland, Les Chatouilles, Grâce à Dieu... 5 films qui libèrent la parole

Leaving Neverland de Dan Reed (disponible en replay sur M6)


James Safechuck et Wade Robson, deux jeunes garçons devenus amis avec Michael Jackson alors qu’ils étaient âgés de 10 et 7 ans, témoignent face camera et racontent la relation qui les liait à la star. Leurs proches n’étaient pas au courant de la manipulation et des abus auxquels auraient été soumis les deux enfants pendant plusieurs années. Aujourd’hui, pères de jeunes enfants, ils ont décidé de parler. Par le biais d’entretiens avec ces enfants devenus aujourd’hui adultes et leurs familles, Leaving Neverland met en lumière la manipulation dont ils ont été victimes. 

Que l'on soit fan de Michael Jackson ou pas, difficile de sortir indemne de ce documentaire. Projeté à Sundance, il a provoqué un véritable électrochoc. A charge, il ne s'appuie toutefois pas que sur la parole des deux hommes. Les membres de leurs familles respectivent se souviennent comment eux aussi ont été séduits par le personnage en apparence très innocent de Michael Jackson et des images d'archives illustrent chaque étape de leurs récits. 

Au-delà du caractère sordide des témoignages de James Safechuck et de Wade Robson, le documentaire met en évidence le procédé pervers de manipulation et la mécanique parfaitement huilée qui amène des parents à laisser leur enfant dormir dans le lit d'un étranger, qui amène un enfant à croire à ce qui lui est imposé comme une histoire d'amour, à devenir dépendant affectivement de son bourreau présumé et surtout, à protéger celui-ci envers et contre tous pendant des années. (Léa Bodin)

Les Chatouilles d'Andréa Bescond et Eric Métayer (disponible en DVD / Blu-Ray)


Tranchant, à la fois brutal et tendre, douloureux et survitaminé, le film exutoire d'Andréa Bescond (et d'Eric Métayer) est une claque donnée à tous. A  nous, à vous, à ceux qui oublient ou pensent que cela n'arrive jamais. Que la pédophilie est prévisible et la violence identifiée. Que le vécu d'un enfant a forcément à voir avec ce qu'il nous en transmet. Et que la famille ou les amis ne doivent surtout pas être inquiétés. Mêlant fantaisie dansée et réalité crue confessée, cette oeuvre autobiographique est une adaptation de la pièce du même nom, intelligemment transposée au cinéma avec les va-et-vient spatio-temporels qu'il permet.

Autant de trouvailles de mises en scène au service d'un discours coup de poing chargé de dénoncer la vraie violence, perverse, manipulatrice. Celle qui a brisé la fillette régulièrement soumise aux abus sexuels d'un grand ami. Celle qui continue de blesser l'adulte quand, en quête de résilience, elle se heurte à sa famille. Dans la peau du pédophile insoupçonnable, de la mère en total déni et du père aveugle puis meurtri, un Pierre Deladonchamps et une Karin Viard que l'on avait du mal pourtant à imaginer aussi "méchants", assortis d'un Clovis Cornillac que l'on jamais vu aussi émouvant.

A l'image de son titre, le film va bien au-delà de ce qu'on attend de lui. Il est joyeux et galvanisant notamment lors de ses séquences dansées, il est ouvert au grand public même si son sujet donne a priori envie de s'en détourner, il est drôle, percutant, cruel et glaçant. Un véritable cri du coeur et du corps lumineux, dépourvu de haine, préventif aussi et donc essentiel. (Laetitia Ratane)


Un homme parfait de Didier Bivel (en replay sur France.TV)




Un Homme Parfait aborde les violences incestueuses sur mineurs. Un sujet grave, lourd et pas évident à mettre en mouvement. Les premières images donnent le ton car s’y joue une violence crue mais débarrassée de tout effet trop voyeuriste ou putassier et tenant la bonne distance pour suggérer l’inconcevable.

Le téléfilm, diffusé sur France 2, se laisse volontairement écraser par son sujet. Comme si les auteurs (Dominique Garnier et Françoise Charpiat) et le réalisateur (Didier Bivel) avaient sciemment éteint leurs velléités artistiques afin de ne pas détourner l’attention du spectateur. Tout y très factuel, prévisible, humble, oscillant très subtilement entre la représentation brute et le drame pur. Avec une économie de moyen et de forme, le téléfilm va progressivement basculer de l’horreur de la découverte à la lutte d’une mère pour faire entendre sa voix. Car Daphné (la mère, excellente Odile Vuillemin) se heurte à la rigidité d’un système judiciaire trop souvent incapable de traiter ces cas, fautes de preuves matérielles. C’est la froideur souvent implacable, impersonnelle et dépourvue de sentiment d’une justice forcément aveugle mais qui accentue l’impression de ne pas être entendu, écouté voire compris. Un Homme Parfait aurait pu durer un peu plus longtemps mais ce traitement sur l’os lui permet de se sortir d’une émotion à fleur de peau, sans surdramatiser les situations.

La télévision possède un vrai rôle à jouer quand elle s’empare de sujets de société forts, configuration parfaite pour les unitaires, trop souvent délaissés par un paysage qui se sérialise. Avec Un Homme Parfait, France 2 a choisi de traiter un sujet grave, encore trop souvent tabou sur les écrans. Et elle le fait bien. Juste et sobre. (Guillaume Nicolas)

Grâce à Dieu de François Ozon (actuellement en salles)


Melvil Poupaud, Denis Ménochet et Eric Caravaca dans Grâce à Dieu de François Ozon

Dans son dernier long métrage, François Ozon s'attaque au silence de l'Eglise face aux agressions sexuelles subies par des enfants. Avec pudeur, sobriété et en évitant le film à charge, Grâce à Dieu donne un éclairage nécessaire sur un sujet tabou, dans un contexte où le sujet est plus que jamais d'actualité.

A notre micro, le cinéaste expliquait : "C'est un film qui essaye d'exprimer des choses compliquées, montrer que des gens sont aussi victimes au sein de l'institution, que chacun joue son rôle, que chacun essaye de faire le mieux possible. (...) Je n'avais pas envie de faire un film politique au sens où je donnais des solutions mais plus un film citoyen dans lequel je pose des questions. (...) C'est un film qui ouvre le débat, qui permet d'essayer de mieux comprendre et à partir de cette compréhension de trouver des solutions." 

Soulignons également l'interprétation toujours juste de ses acteurs principaux : Melvil Poupaud, Denis Ménochet et Swann Arlaud en tête. (Brigitte Baronnet)

The Tale de Jennifer Fox (disponible en VOD)


Film choc présenté à Deauville puis diffusé à la télévision (selon l'envie de la réalisatrice de le montrer au plus large public), The Tale s'inspire du vécu de Jennifer Fox, abusée sexuellement pendant des années par un adulte de son entourage avec qui elle croyait du haut de ses 13 ans, vivre une histoire à part. Un viol perpétré au nom de "l'amour", qu'elle parvient à nommer comme tel des années après. Dans The Tale, la documentariste fait se confronter la version adulte d'elle-même (sublime Laura Dern) à sa version enfant (troublante Isabelle Nélisse), la première interrogeant la seconde sur son ressenti, la sommant de prendre conscience du drame qui est en train de se produire et de l'impact qu'il aura sur son futur de femme.

Il y a encore des chatouilles, de la gentillesse mièvre, de la manipulation et des flash backs dans ce film frontal et sincère. Mais là où Andréa Bescond privilégie le hors champ et fait "glisser" l'espace, Jennifer Fox choisit l'exposition de l'acte, le plan fixe, le viol graphique. Pour dénoncer cet abus sexuel à part car rendu possible par un lavage de cerveau soigné de l'enfant. Pour souligner l'horreur ordinaire d'un moment au cours duquel ce dernier FAIT mais ne PREND pas PLAISIR.

Une autre manière "choc" d'aborder l'abus commis au sein de la famille, à entendre ici au sens large puisque l'agresseur et sa femme complice sont des référents adoubés par les parents et par la fillette, qui ne se rend pas compte qu'en voulant sortir des "griffes" de son cercle intime, elle est tombé dans celles de proches réellement malfaisants. Un film qui alerte et qui a l'audace de requestionner le statut de victime, état refusé par celle qui l'est et paradoxalement revendiqué par son prédateur aimable et aimé, pris au piège de sa propre perversité. (Laetitia Ratane)

Bonus série : Patrick Melrose de David Nicholls


Produite par Sky et prochainement diffusée sur Canal+, Patrick Melrose est une série inclassable et organique, qui nous prend littéralement par les tripes. Elle démarre sur les chapeaux de roues avec un Benedict Cumberbatch survitaminé dans tous les sens du terme : bourgeois héroïnomane, cynique et torturé, Patrick apprend le décès de son père, un aristocrate très influent (Hugo Weaving) et s'envole pour New York afin de récupérer ses cendres.

Au fil des séquences survoltées de consommation de drogues dures (si réalistes qu'elles en sont parfois insoutenables), des flash backs révèlent en pointillés une enfance traumatique, vécue dans la peur permanente d'un patriache autoritaire et sadique. Le moindre bruit, la moindre réaction du jeune Patrick est prétexte au châtiment et aux sévices corporels, sous le regard impuissant d'une mère tombée sous la coupe de son mari (Jennifer Jason Leigh).

Servie par de puissantes performances et une beauté visuelle qui tranche avec la noirceur de son sujet, la série prend le parti de tendre vers la lumière en reconstituant le chemin de croix de Patrick pour guérir une fois adulte, luttant à la fois contre l'emprise terrible de son père au-delà de sa mort et contre ses addictions,  dans une tentative désespérée d'anéantir toute émotion pour survivre. (Julia Fernandez)