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Le village gaulois et l’islam

Le débat sur le burkini, la verbalisation d’une femme portant un simple voile à Nice et les prises de positions “laïcardes” qui se multiplient montrent un inquiétant repli de la France sur elle-même.

Liberté égalité fraternité. La devise de la France en prend un coup. Dans la presse étrangère, on s’interroge. Qu’arrive-t-il au pays des libertés ? Il lui arrive que l’intolérance est en train de se cacher derrière la soi-disant défense de notre modèle de société.

Argument grotesque.

Ce que porte une femme pourrait donc devenir la manifestation d’une radicalisation religieuse dangereuse pour notre pays. « La généralisation guette… » L’argument ne tient pas. Il est simplement la manifestation d’un problème avec l’islam pour une partie des détracteurs de droite de culture chrétienne, qui y voient une agression religieuse. Ou d’un problème tout court avec la religion pour ceux de culture de gauche athée.

Aucun argument ne tient pour justifier une réaction aussi violente.

1 Le danger islamiste

C’est absurde. Le choix de porter un certain type de vêtement pour être en accord avec une lecture de l’islam est marginal. Mais surtout ce choix est une liberté. Chacun s’habille comme il le souhaite. Chacun dit avec ses vêtement ce qu’il aime ou n’aime pas et au fond qui il est. Nous le faisons tous, chacun a notre manière. C’est ainsi. Le condamner reviendrait à établir un délit non pas d’opinion (puisque ces femmes ne disent rien) mais « d’opinion suspectée au regard d’un vêtement ». Insupportable.

Ce matin, je croise dans la rue une femme africaine très élégante portant un foulard crème, assorti à son pantalon, noué sur la tête et qui retombait sur son épaule comme un châle. C’était très joli et au passage lui permettait d’avoir la tête couverte en accord avec sa religion. Personne ne la regardera de travers dans la journée. Je suis même sûr que beaucoup d’hommes et de femmes la trouveront très belle. Alors quoi ? Quel est le débat ? On parle d’atteinte aux principes de la république ou de goût vestimentaire ? La loi va-t-elle déterminer ce que l’État trouve beau et pas beau ? Acceptable selon les canons de l’élégance du moment ? Le voile noir, non. Le voile fleuri coloré façon Hermès, oui ? Absurde.

On dit : « Ce tissu est le reflet d’une idéologie dangereuse. » Faux encore. Le salafisme n’a pas mécaniquement de débouché violent. Au contraire, la plupart du temps, il est une forme d’ascèse que les croyants s’imposent à eux-mêmes. Mais admettons. Va-t-on interdire les tenues paramilitaires au motif qu’elles seraient un appel à la guerre ? Les treillis noirs au motif qu’ils rappellent les Blacks Blocs ?

Mais surtout, la plupart du temps, l’habit outrancier, exagéré et au final ridicule provoque le rire, la moquerie. Pourquoi se sentir agressé par une femme couverte de noir alors que d’autres à la tenue excentrique vous feront rire ? Parce qu’elle est une menace ? Mais où a-t-on vu que quelques dizaines de personnes menacent par leur habillement une majorité de millions de personnes. Ridicule.

2 le respect de la femme

Là aussi, impossible de normaliser. Considérer que les femmes couvertes de la tête au pied sont manipulées est déjà un mépris à leur égard que je trouve insupportable. Beaucoup choisissent d’adopter ce vêtement. Pour celles qui le font sous la pression de leur mari ou compagnon basculé dans le salafisme, la réponse s’appelle le machisme. La pression de l’homme sur la femme dans le couple n’est pas l’apanage des musulmans. Il est intolérable. Mais veut-on légiférer ? Créer un délit de machisme ? Bon vent. Mais nous y serons tous soumis, religieux ou pas. Enfin, si l’on parle de respect de la femme, interdisons la prostitution, la pornographie… puisque les femmes ne sont jamais complètement libres de leur corps.

Enfin, on notera que dans d’autres religions, une lecture orthodoxe peut entraîner la même contrainte exercée sur les femmes, comme chez les juifs loubavitch, dont les femmes se rasent la tête, portent une perruque et se baignent aussi couvertes. Les stigmatise-t-on ? Non. Et tant mieux. Je ne parle pas de l’idée de fermer les couvents où les religieuses portent encore des robes de bure et gardent la tête couverte. Quand on entend des responsables politiques parler de l’idée que l’on se fait de la femme en France pour l’opposer aux femmes voilée, intègrent-ils les religieuses ou les ont-ils rangées dans une catégorie à part, déféminisée ? Non. Voilà bien la preuve que c’est avec l’islam que ces zélotes de la laïcité ont un problème.

3 Le trouble à l’ordre public.

C’est la tarte à la crème avancée pour interdire ce qui ne vous plaît pas. Mais la question n’est pas de savoir si cela nous choque ou pas, ébranle nos convictions aux uns et aux autres (quand bien même on est Premier ministre) ; mais si cela est légal ou pas et en accord avec les libertés fondamentales. Éviter le trouble à l’ordre public, c’est éviter les faux débats, les faux enjeux. Éviter les déclarations martiales sur le thème des valeurs, parce qu’elles génèrent des peurs infondées. Et lorsque qu’un policier verbalise au mépris de la loi une femme qui porte un foulard (la burqa est interdite, pas le voile) et qu’un attroupement se crée où la violence verbale se déchaîne, tout cela avec la bénédiction des autorités. C’est lamentable.

Dans certains pays, les pouvoirs politiques pourchassent les femmes qui ne veulent pas porter le voile. Dans le nôtre, les autorités stigmatisent celles qui le portent. Et on voudra nous faire croire qu’il n’y a pas d’instrumentalisation politique de l’islam.

Le fond du problème est que l’islam n’est pas reconnu malgré ses quelque six millions de pratiquants comme une religion comme une autre. Que notre pays au fond n’aime pas la religion et que certains responsables politiques ont toujours un problème avec la religion. En 1905, la séparation des Églises et de l’État a été une manière pour les athées de « faire la peau » aux catholiques. Ça recommence avec l’islam. À la différence cette fois que laïcards et chrétiens rigides se retrouvent dans le même camp.

La liberté religieuse, son expression, sa pratique font partie des libertés fondamentales. Même si dans notre pays, les élites politiques considèrent que la liberté de faire de la politique, de manifester contre une loi est bien plus importante et sacro-sainte et ne souffre aucune limite, le fait est que des millions de nos concitoyens réclament aussi de pouvoir vivre leur religion, exprimer leurs opinions et participer au débat public comme dans d’autres démocraties (je pense au débat tronqué sur le mariage pour tous).

Sauf à devenir un village de gaulois ringards et bornés, il va falloir accepter ce fait. La religion a le vent en poupe. Malraux l’avait prévu. C‘est ainsi. Il faut l’accepter et le défendre au nom d’un principe qui est au-dessus de tout : celui de la liberté. Et c’est un athée qui vous le dit.