Le Tchad va se retirer de Centrafrique

PARIS/N'DJAMENA (Reuters) - Le Tchad a décidé de ne plus participer à la mission de maintien de la paix de l'Union africaine en Centrafrique, la Misca, car il se juge injustement accusé "de tous les maux dont souffre" ce pays, plongé depuis début décembre dans des violences communautaires. Les militaires tchadiens constituent l'un des rouages essentiels de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, forte de 6.000 soldats et chargée de stabiliser la Centrafrique aux côtés des 2.000 soldats français de la force Sangaris. Ils sont toutefois accusés de parti pris en faveur des ex-rebelles de la Séléka, composés essentiellement de musulmans. "Malgré les sacrifices consentis, le Tchad et les Tchadiens font l'objet d'une campagne gratuite et malveillante, tendant à leur faire porter la responsabilité de tous les maux dont souffre la RCA", écrit le gouvernement tchadien dans un communiqué publié jeudi. "Face à ces accusations répétées, le Tchad (...) décide du retrait du contingent tchadien de la Misca", ajoute-t-il. Les modalités de ce retrait n'ont pas encore été arrêtées. En attendant, précise N'Djamena, les soldats tchadiens, qui représentent environ 850 des 6.000 soldats de la Misca, resteront en place dans les zones relevant de leur responsabilité. Leur retrait pose problème à la France, même si Paris a obtenu le déploiement d'ici fin mai des 800 soldats européens de la mission militaire Eufor-RCA, dont, pour une large part, des soldats français déjà sur place. "Nous allons devoir étudier l'impact de cette décision, mais ce ne sera naturellement pas simple compte tenu du fait que le Tchad était un acteur majeur de la Misca", dit-on de source diplomatique française. COLLUSIONS ET COMPLICITÉS Depuis le déploiement de la Misca en décembre, ses membres tchadiens sont régulièrement accusés de prendre le parti de la population musulmane et des ex-rebelles de la Séléka contre les chrétiens, notamment les milices anti-balaka. Le dernier incident en date impliquant le contingent tchadien remonte à samedi, quand des soldats qui escortaient un convoi de musulmans centrafricains fuyant vers le Tchad ont ouvert le feu à Bangui, faisant au moins 10 morts et des dizaines de blessés, ont rapporté des responsables. Les violences en Centrafrique ont fait au moins 2.000 morts depuis décembre. Dans un rapport préliminaire présenté en janvier par le Haut Commissariat de l'Onu aux droits de l'homme, une équipe d'enquêteurs des Nations unies a repris de nombreux témoignages mettant en cause des soldats tchadiens, évoquant même une "collusion entre des éléments tchadiens de la Fomac (ndlr, précurseur de la force Misca) et des forces ex-Séléka". En février, c'est l'organisation de défense des droits de l'homme Human Rights Watch qui a affirmé que "des éléments des troupes tchadiennes appartenant à la force de maintien de la paix ont, dans certains cas, facilité les mouvements de chefs de la Séléka complices de graves exactions". "Pour offrir aux civils en République centrafricaine une protection effective, l'Union africaine doit impérativement mettre un terme aux activités des troupes tchadiennes appartenant à la force de maintien de la paix, qui vont directement à l'encontre de leur mission", a alors affirmé Peter Bouckaert, directeur des situations d'urgence chez Human Rights Watch. "Les forces tchadiennes ne doivent pas se rendre complices des attaques de la Séléka contre les civils." Sur son compte Twitter, il a réagi jeudi à l'annonce du gouvernement tchadien en affirmant qu'il n'y avait pas de "campagne gratuite et malveillante" contre le Tchad, mais juste "des preuves sérieuses d'inconduite de ses soldats dans la crise centrafricaine". Fournissant un nouvel exemple de la gravité des violences, Human Rights Watch a affirmé jeudi que des miliciens anti-balaka avaient tué en février au moins 72 hommes et garçons musulmans, parfois âgés de seulement neuf ans, dans deux attaques distinctes passées relativement inaperçues. Des combattants de la Séléka, avec l'aide de bergers peuls, ont à leur tour tué 19 personnes le 22 février, selon HRW. (John Irish à Paris et Madjiasra Nako à N'Djamena, Bertrand Boucey et Henri-Pierre André pour le service français)