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Le périple de deux réfugiés kurdes de Kobani à Passau

par Shadia Nasralla VIENNE (Reuters) - Maha et son mari Khalil ont décidé de fuir Kobani lorsque les djihadistes de l'Etat islamique sont entrés dans plusieurs quartiers de cette ville syrienne située sur la frontière turque et ont massacré des habitants au couteau. En quelques heures, des dizaines de cadavres jonchaient les rues et la maison de Maha et Khalil, tous deux kurdes, avait été saccagée par les assaillants. "Avec mon téléphone, j'ai pris des photos d'enfants qui avaient été massacrés mais je les ai effacées. Je ne pouvais plus les regarder", se souvient ce professeur d'anglais. C'était en juin. Deux mois plus tard, après un périple à travers l'Europe, Khalil, sa femme Maha âgée de 25 ans et leurs deux enfants Helan, trois ans, et Nour, un an, ont atteint la gare centrale de Passau dans le sud de l'Allemagne. Comme des milliers de migrants, ils ont réussi à embarquer à bord d'un train à Budapest pour rejoindre Vienne, la capitale autrichienne, puis un convoi les a conduits jusqu'en Bavière. Leur rêve est de rejoindre Hambourg dans le nord de l'Allemagne et peut-être ensuite de se rendre au Danemark où vit la soeur de Khalil. Leur périple et leur histoire ressemblent à ceux de centaines d'autres réfugiés partis de Syrie, d'Irak ou d'Afghanistan, fuyant la guerre et la misère avec l'espoir de survivre et de trouver une vie meilleure en Europe. Epuisés, effrayés, sous-alimentés, ils ont réuni tous leurs biens dans quelques sacs ou valises. Leur fortune se résume aux vêtements qu'ils portent et ils ignorent quel est leur statut officiel en Europe. Ils ont simplement surmonté la peur d'être victimes de passeurs sans pitié ou d'une catastrophe, un accident ou un naufrage en Méditerranée qui aurait mis tragiquement fin à leur périple. "ON EST OÙ ?" Khalil et Maha, qui était professeur d'arabe en Syrie, sont entrés en Turquie il y a 25 jours. Ils ont rejoint la station balnéaire de Bodrum sur la côte occidentale turque. Ils sont restés cachés dans des bois en attendant de trouver un passeur disposant d'un canot pneumatique. L'embarcation ne pouvait accueillir que quatre personnes mais le passeur y a entassé toute la petite famille et sept autres candidats à l'exil. Après quelques centaines de mètres en mer, le canot a commencé à prendre de l'eau et les réfugiés ont dû faire demi-tour, n'échappant à la noyade que par miracle. Khalil et les siens ont alors pris la direction d'Izmir, grande ville située plus au nord. Pour traverser la mer Egée et rejoindre Mytilène, sur l'île grecque de Lesbos, ils ont payé 3.600 euros (1.200 euros par adulte et 600 euros par enfant). Deux jours plus tard, ils étaient enfin sur le continent mais leur parcours était loin d'être terminé. Pris en charge par des passeurs, ils ont traversé les forêts de Macédoine et de Serbie pour rejoindre la Hongrie et l'espace Schengen. Avant d'entreprendre cette traversée de l'Europe, Khalil et Maha ont tenté de fuir Kobani pour s'installer à Arbil au Kurdistan Irakien mais la vie y était trop chère et ils n'ont eu d'autre choix que de revenir à leur point de départ. En gare de Passau, deux jeunes femmes portant des bicyclettes flambant neuves montent dans le train. Maha donne le sein à Nour. Elle s'est installée devant un portique à vélo. Les deux jeunes femmes lui demandent de se lever et d'aller plus loin: elles ont payé pour avoir le droit d'accrocher leurs montures au portique. Quelques minutes plus tard, des hommes vêtus de gilets pare-balles montent à leur tour, réveillent les réfugiés et les obligent à débarquer. Khalil, les larmes aux yeux, s'inquiète. Il craint de ne jamais voir Hambourg, ni le Danemark. "On est où ?", demande nerveusement Maha. Elle n'a jamais entendu parler de Passau. (Pierre Sérisier pour le service français)