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Le projet de loi asile et immigration devant le Sénat

Les sénateurs ont entamé mardi l'examen du projet de loi asile et immigration en séance publique, nouvel épisode législatif d'un des textes les plus controversés du gouvernement contre lequel les acteurs de terrain renouvellent leur opposition. /Photo prise le 30 mai 2018/REUTERS/Benoit Tessier

PARIS (Reuters) - Les sénateurs ont entamé mardi l'examen du projet de loi asile et immigration en séance publique, nouvel épisode législatif d'un des textes les plus controversés du gouvernement contre lequel les acteurs de terrain renouvellent leur opposition.

Deux jours après l'arrivée des migrants de l'Aquarius sur les côtes espagnoles, la question migratoire est au centre du sommet franco-allemand entre Emmanuel Macron et Angela Merkel ce mardi, à l'approche d'un Conseil européen appelé à statuer sur une réponse européenne, passant notamment par une harmonisation des taux de succès de la demande d'asile selon la nationalité.

"La crise migratoire en Europe est loin d'être terminée", a dit la secrétaire d'Etat Jacqueline Gourault aux sénateurs, citant l'épisode de l'Aquarius comme la preuve que "la route migratoire de Méditerranée centrale, si elle est moins empruntée qu'auparavant, demeure encore très active".

"Les mesures que nous allons examiner visent aussi à lutter contre l'immigration illégale, ce qui correspond à une aspiration forte exprimée par nos concitoyens, à laquelle nous devons répondre si nous ne voulons pas que demain tous les populismes grandissent encore dans notre pays", a-t-elle déclaré, décrivant la France comme "de plus en plus exposée à des flux secondaires de dizaines de milliers de personnes qui, s'étant vu refuser l'asile dans un autre pays européen, viennent tenter leur chance sur notre sol".

Les dirigeants de l'Union européenne étudieront la mise en place dans des pays tiers de "plates-formes régionales" de gestion des réfugiés et des migrants lors de leur sommet de fin juin, selon un projet de déclaration.

En France, le Conseil d'Etat a jugé inconstitutionnelle la notion de pays tiers sûrs (retirée du projet de loi par le gouvernement en décembre), comme la Turquie, vers lesquels les Etats membres pourraient renvoyer des demandeurs d'asile sans examen de leur dossier, selon une note révélée par le Monde.

LA RÉTENTION DES MINEURS RETOQUÉE

Sans se prononcer sur ce point, le "projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie" entend accélérer le processus d'asile en France et les expulsions des déboutés, en réduisant notamment les délais de dépôt et de recours.

Cependant, le doublement de la durée de rétention qu'il propose pour les migrants en instance d'expulsion, est décrié par les associations et à la chambre haute, où la droite des Républicains, majoritaire, a présenté en commission un "contre-projet plus cohérent, plus ferme et plus réaliste".

Les sénateurs ont proposé de limiter à cinq jours la durée de la rétention des mineurs, tout en mettant en avant un séquençage différent de la rétention, limité à 45 jours avec des possibilités d'allongement en cas de manoeuvre dilatoire (90 jours) ou de suspicion de terrorisme (six mois).

Le gouvernement a déposé un amendement pour supprimer la limitation de la rétention des mineurs introduite en commission, qui précise que "la rétention d'un étranger accompagné d'un mineur est, dans tous les cas, utilisée en dernier recours".

D'autres dispositions symboliques, comme la carte de séjour de quatre ans, le maintien des soins médicaux et la possibilité de regrouper les frères et soeurs de mineurs réfugiés seront défendues par le gouvernement, a précisé Jacqueline Gourault.

DÉNONCIATION PERSISTANTE

Dans une lettre publiée lundi, 15 associations d'aide aux migrants appellent les sénatrices et sénateurs à mettre fin à la rétention d'enfants en l'inscrivant dans la loi. Selon la Cimade, au 15 mai 2018, 37 familles dont 77 enfants ont été placées dans des centres de rétention administrative.

Les sénateurs sont également revenus en commission sur la réduction des délais de recours actée à l'Assemblée, jugée "contre-productive", tout en durcissant les possibilités d'expulsion et en limitant le regroupement familial.

La commission des Lois a adopté en outre un amendement du sénateur LR Roger Karoutchi, qui propose de transformer l'aide médicale d'État (AME) réservée aux sans-papiers en aide médicale d'urgence (AMU), limitée aux maladies graves ou douloureuses, à la médecine préventive et aux soins liés à la grossesse, sous condition de ressources et du versement d'un droit annuel.

Dans un rapport publié mardi, Médecins du Monde (MSF) s'alarme de la "souffrance psychique des exilés", devenue "urgence de santé publique". Contre l'avis des sénateurs de droite, l'association déplore les difficultés d'accès des migrants à une couverture médicale, et recommande de fusionner l'AME dans le régime général de la Sécurité sociale pour la rendre plus accessible.

Une quinzaine d'organisations (humanitaires, avocats de l'asile, syndicats de la Cour nationale du droit d'asile) appelle à manifester mardi midi devant le Sénat pour "persister dans la dénonciation de ce texte inefficace et dangereux et (...) oeuvrer à sa modification en profondeur".

Dans la matinée, 348 gilets de sauvetage portant le nom d'une sénatrice ou d'un sénateur ont été empilés symboliquement devant le palais du Luxembourg par un collectif, des gilets enfilés par certains élus opposés au texte comme le sénateur communiste Pierre Laurent, dont le groupe a déposé une motion pour déclarer irrecevable l'ensemble du projet de loi "en raison des graves difficultés constitutionnelles qu'il soulève".

Au total, 577 amendements ont été déposés sur le texte, dont le vote est prévu le 26 juin au Sénat, avant son examen en commission mixte paritaire.

(Julie Carriat, édité par Yves Clarisse)