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Le pire cauchemar de l'exécutif devenu réalité

par Elizabeth Pineau PARIS (Reuters) - Le pire cauchemar de l'exécutif français est devenu réalité avec les attentats sans précédent commis vendredi soir à Paris et dans sa banlieue, selon un scénario redouté mais envisagé, voire prédit depuis des mois dans les coulisses du pouvoir. La nervosité était déjà palpable au plus haut niveau de l'Etat quelques jours avant ces tueries qui ont fait au moins 127 morts lors d'une série d'attaques visiblement coordonnées. "La situation est extrêmement préoccupante", déclarait un proche de Manuel Valls en début de semaine. Quelques heures avant le carnage, le pressentiment était clair dans les mots du Premier ministre. "On peut avoir des attentats à tout moment, sous des formes très différentes, rien qu'en se procurant des armes à feu", déclarait-il à l'Opinion en marge d'un déplacement à Dijon vendredi. Dans le même temps, à l'Elysée, le président remettait un prix à l'auteur d'une photo prise le 11 janvier dans Paris pendant la marche d'une cinquantaine de dirigeants du monde. "Il y aura forcément d'autres moments dans notre avenir où nous devrons être à la hauteur de notre Histoire", disait François Hollande. "Mais des chefs d'Etat et de gouvernement qui défilent, ça c'est exceptionnel. Et en aussi grand nombre. Et ça je ne pense pas que ça se reproduira. Parce que toutes les questions de sécurité étaient (...) transgressées." Au ministère de la Défense, on disait aussi s'attendre à des actions de grande ampleur et coordonnées en France. Ce drame que n'a pas pu éviter un système de sécurité national pourtant renforcé après les attentats djihadistes de janvier dernier, notamment contre Charlie Hebdo, met l'Etat au défi, sommé de répondre à une salve d'interrogations. PAS QUESTION D'ANNULER LA COP21 Certes, il n'est pas question de reporter les élections régionales des 6 et 13 décembre, pour lesquelles la plupart des partis ont suspendu leur campagne. Exclu, également, d'annuler la conférence mondiale contre le réchauffement climatique qui doit réunir le 30 novembre 118 chefs d'Etat et 195 délégations dans une ville aujourd'hui prise pour cible, a déclaré un diplomate. La question d'une éventuelle adaptation et d'un renforcement de la sécurité est toutefois évoquée pour cet événement. La France avait déjà rétabli vendredi dans cette perspective ses contrôles aux frontières pour un mois afin de sécuriser l'entrée sur le territoire. Plus de 30.000 policiers, dont les 4.000 de la Police aux frontières (PAF), ont été mobilisés. Ces mesures exceptionnelles s'ajoutaient à l'arsenal décidé dans le sillage des attentats ayant notamment visé le journal satirique Charlie Hebdo, en début d'année. Quelque 10.000 soldats ont été mobilisés pour sécuriser les lieux publics, notamment religieux. La loi sur le renseignement, entrée en vigueur le 3 octobre, devait elle aussi permettre de prévenir les attentats dans un contexte de tension extrême liée à la guerre en Syrie, qui a jeté aux portes de l'Europe des centaines de milliers de réfugiés. Les autorités françaises craignaient avant tout le passage à l'acte de djihadistes français ou résidant en France formés dans des camps de l'Etat islamique en Syrie et en Irak, où la France intervient militairement. L'UNITÉ NATIONALE SE FISSURE Le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, évalue à environ 1.800 le nombre de personnes impliquées dans des filières djihadistes. Dans la classe politique, l'unité nationale des premières heures a commencé à se fissurer, augurant d'un débat qui pourrait s'envenimer sur le thème : "Pourquoi n'a-t-on rien empêché ?" Le président des Républicains, Nicolas Sarkozy, a demandé samedi des "inflexions majeures" en termes de sécurité. Dans son camp, le député Lionnel Luca a comparé Paris à Beyrouth. "Nous paierons cher notre lâcheté face au communautarisme !", a-t-il écrit sur son compte Twitter. Au Front national, Louis Aliot, compagnon de la présidente du parti, Marine le Pen, a taxé Manuel Valls d'"irresponsable." Le secrétaire général des Républicains, Laurent Wauquiez, a demandé quant à lui l'internement des 4.000 personnes vivant sur le territoire français et fichées pour terrorisme. François Hollande a demandé aux Français de s'unir contre la "barbarie", promettant un "combat impitoyable" contre Daech, ennemi clairement désigné. Le président recevra dimanche tous les chefs de partis avant de s'exprimer, lundi, devant les parlementaires réunis en Congrès à Versailles. Mais si les attentats de janvier dernier lui avaient permis de renforcer son image présidentielle, l'ampleur des attentats de vendredi et le choix des cibles pourraient déboucher sur un débat sur la compétence de l'exécutif face à la menace. (Avec Emmanuel Jarry et Marine Pennetier, édité par Yves Clarisse)