Le Parlement européen veut suspendre les négociations avec Ankara
STRASBOURG (Reuters) - Le Parlement européen s’est prononcé jeudi à Strasbourg pour une suspension des négociations d’adhésion à l’Union européenne de la Turquie si celle-ci met en œuvre sa réforme constitutionnelle, comme prévu, en 2019. Voulue par le président Recep Tayyip Erdogan après la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016, cette modification de la Constitution élargit considérablement ses pouvoirs au détriment du parlement et des instances judiciaires. La réforme a été approuvée à une courte majorité (51,4%) le 16 avril dernier à l’issue d’un référendum dont le déroulement a été émaillé d’irrégularités relevées par les observateurs internationaux. Plusieurs mesures ont déjà été mises en oeuvre, comme le retour d'Erdogan au sein de l'AKP, le parti au pouvoir, ou le remplacement des membres de la plus haute autorité judiciaire. D'autres, comme la suppression du poste de Premier ministre, doivent intervenir dans les deux ans, à l’issue de l'élection présidentielle de 2019. Dans une résolution adoptée par 477 voix contre 64 et 97 abstentions, le Parlement européen "demande à la Commission et aux Etats membres de suspendre formellement les négociations d'adhésion avec la Turquie sans plus attendre si le paquet de réformes constitutionnelles est mis en œuvre tel quel". Alors que les eurodéputés avaient demandé, en novembre dernier, un simple "gel" des négociations, qui s’était déjà imposé de facto, ils estiment qu’une décision formelle, passant par un vote des Etats membres à la majorité qualifiée, devrait cette fois être adoptée. "Le train de mesures proposé à la population turque est en contradiction totale avec les critères de Copenhague qui valent pour tous les pays candidats et pour tous les Etats membres", a affirmé la social-démocrate Kati Piri (Pays-Bas), rapporteur du projet de résolution, lors d’une conférence de presse mercredi. Les "critères de Copenhague" comprennent notamment ceux relatifs à l’Etat de droit, à la démocratie et aux droits de l’homme qui sont requis comme préalable à l’ouverture des négociations d’adhésion, une étape franchie par la Turquie en décembre 2004. Ankara a dit n'attacher aucune valeur au vote du Parlement de Strasbourg. "Cette décision, qui s'appuie sur de fausses affirmations et allégations, foule aux pieds la réputation de l'institution en question", a dit le ministère turc des Affaires étrangères dans un communiqué. "Cette décision n'a aucune valeur pour nous." Plus de 50.000 personnes, dont environ 150 journalistes et quatorze députés, ont été incarcérées depuis le coup d’Etat en Turquie et plus de 150.000 fonctionnaires ont été limogés ou suspendus. (Gilbert Reilhac, édité par Yves Clarisse et Jean-Stéphane Brosse)