Il faut protéger la forêt amazonienne du profit, dit le pape

Le pape François, arrivé jeudi soir au Pérou en provenance du Chili, se rend vendredi à Puerto Maldonado, dans la forêt amazonienne, pour marquer son attachement à la défense de l'environnement et des peuples indigènes. /Photo prise le 19 janvier 2018/REUTERS/Guadalupe Pardo

par Philip Pullella et Mitra Taj

PUERTO MALDONADO, Pérou (Reuters) - Le pape François a dénoncé vendredi les atteintes portées à l'environnement et aux peuples d'Amazonie, estimant qu'il ne fallait pas laisser les grandes entreprises et "la soif consumériste" détruire cet habitat naturel indispensable à la planète tout entière.

Le souverain pontife s'est exprimé à Puerto Maldonado, au coeur de la forêt amazonienne, où la biodiversité est menacée par les exploitations minières et les abattages d'arbres, dont la plupart sont illégaux.

"Le peuple d'Amazonie n'a probablement jamais été aussi menacé sur ses terres que maintenant", a-t-il déclaré, devant des centaines de membres de différentes tribus indigènes réunies dans un petit stade construit en forme de cabane.

Le pape, dont c'est la première visite en Amazonie depuis celle de Jean Paul II en 1985, a dénoncé la "pression exercée par les grandes compagnies pour leurs intérêts" dans le pétrole, le bois ou encore l'or, afin "d'approvisionner d'autres pays sans tenir compte de ses propres habitants".

"Nous ne pouvons pas nous approprier des biens destinés à tous afin de répondre à notre soif consumériste. Il faut établir des limites afin de tous nous protéger de la destruction d'un habitat qui fait de nous ce que nous sommes", a-t-il dit.

Avant de s'exprimer, le chef de l'Eglise catholique avait écouté les plaintes de résidents de la forêt tropicale, qui estiment que leurs terres sont souillées.

"DE NOUVEAUX BARS CHAQUE JOUR"

Les chefs des tribus indigènes espèrent que la visite du pape incitera le gouvernement du président Pedro Pablo Kuczynski, un ancien banquier de Wall Street, à leur confier la propriété de ces terres afin de les protéger.

Alberto Fernandez, propriétaire d'un magasin de fleurs âgé de 44 ans, veut croire que les dérives qui ont accompagné le développement soudain de la ville vont prendre fin.

"On a beaucoup de besoins ici (...) De nouveaux bars ouvrent chaque jour, il y a davantage de prostitution, encore plus d'exploitations minières illégales", a-t-il dit. "Puerto Maldonado n'était pas comme ça il y a trente ans. Il n'y avait que deux rues pavées, mais on vivait en paix".

Le pape, qui est arrivé du Chili jeudi soir et doit rester trois jours au Pérou, doit visiter aussi un foyer pour jeunes en difficulté fondé par un prêtre suisse, Xavier Arbex.

Depuis plus de vingt ans, le père Arbex, aujourd'hui âgé de 75 ans, met en garde contre les risques de désastre écologique que fait peser sur la forêt une exploitation minière incontrôlée, une soif de l'or qui entraîne la déforestation, la pollution des cours d'eau mais favorise aussi les trafics humains et les réseaux criminels.

Les autorités péruviennes ne sont pas parvenues à mettre fin à l'exploitation illégale de l'or. Le projet du président Kuczynski de "légaliser" les mineurs clandestins qui respecteraient les lois sur le travail et l'environnement n'a pu aboutir en raison de dissensions au sein de son gouvernement.

"Je n'ai pas perdu la foi en Dieu mais j'ai perdu tout espoir dans la politique", dit le père Arbex.

"HORS DE CONTRÔLE"

L'exploitation minière est devenue le moteur de l'économie locale et un ancien mineur clandestin a même été élu gouverneur.

Illustration de cette lutte incessante, les gardes de la réserve naturelle de Tambopata sont fréquemment pris à partie par les mineurs. L'an dernier, un puits contenant une vingtaine de corps carbonisés a été découvert près d'un camp de "mineros". En septembre, un policier a été tué dans une embuscade.

"La situation est hors de contrôle", déclare Freddy Vracko, un exploitant forestier dont le père a été abattu chez lui par des hommes masqués en décembre 2015, après des années de menaces.

Pour Julio Cusurichi, qui dirige une fédération représentant 36 communautés indigènes, la recherche de l'or n'est que la dernière en date des menaces qui pèsent sur la forêt et les tribus amazoniennes, après l'exploitation du caoutchouc au XIXe siècle. Avec comme risque principal la pollution des cours d'eau.

Le père Arbex souligne aussi l'horreur des trafics humains liés à la pauvreté, notamment le sort des jeunes filles poussées à la prostitution.

François a invité les autorités locales et les prêtres à préserver les jeunes et les femmes de toute forme de violence et de trafic humain.

"Nous devons être très vigilants, ne pas nous laisser piéger par une idéologie colonialiste déguisée en progrès, qui fait lentement mais sûrement disparaître les identités culturelles pour instaurer une pensée unique et faible", a-t-il dit.

(Guy Kerivel et Jean Terzian pour le service français, édité par Gilles Trequesser)