Le jeu vidéo mène à tout, même au boursicotage

Les jeunes passionnés de jeux vidéo deviennent la cible d'applications boursières dont l'objet est d'attirer une génération post-crise pour qui la finance est sans intérêt ou suscite une profonde méfiance. /Photo d'archives/REUTERS/Yuya Shino

par Sudip Kar-Gupta

LONDRES (Reuters) - Les jeunes passionnés de jeux vidéo deviennent la cible d'applications boursières dont l'objet est d'attirer une génération post-crise pour qui la finance est sans intérêt ou suscite une profonde méfiance.

Couleurs vives, graphismes cartoonesques, possibilité de jouer à boursicoter sans risque moyennant des crédits virtuels, voici ce que proposent des applications telles que BUX ou Kapitall; point de graphiques complexes ou de jargon financier, seulement des parties en ligne ponctuées de petites exclamations habituelles aux joueurs telles que "OMG!", après avoir placé un ordre.

Le trading boursier est un segment mineur du marché du jeu mobile, qui pèse 15 milliards de dollars, mais les deux tiers des traders individuels britanniques utilisent déjà leur smartphone ou leur ordinateur pour acheter ou vendre, un constat que les concepteurs d'applications veulent exploiter.

"Les développeurs se rendent compte que les jeux sont joués par toutes sortes de gens aux motivations les plus diverses et la même personne rivée à son jeu vidéo peut très bien vouloir ressentir le même frisson grâce à la Bourse", observe Kam Star, fondateur et directeur général du studio PlayGen.

Nick Bortot, ex-responsable chez le courtier en ligne Binckbank, a créé BUX (getbux.com) l'an passé à Amsterdam et à Londres. BUX avait été précédé par Kapitall et Invstr (invstr.com).

BUX et Kapitall permettent à deux joueurs de se confronter par exemple sur la performance future d'une action et il leur est également loisible de parier non seulement des crédits virtuels mais aussi de l'argent bien réel.

"Avec BUX j'ai accroché tout de suite: jouer pour le fun, tenter de comprendre comme les marchés et les actions marchent. Depuis la mi-décembre, je parie de l'argent réel", commente Nathaniel Brooks, un manager de 28 ans par ailleurs fan de la PlayStation.

ACCOUTUMANCE

Les trois sociétés citées espèrent que leur manière décontractée de présenter la finance attirera une clientèle jeune, le secteur économique suscitant le moins la confiance dans le monde suivant une étude de 2014 de la société de communications Edelman. C'est le secteur high tech qui suscite la confiance la plus grande, selon cette même étude.

Pour l'heure, invstr se contente de jeux qui permettent au joueur de tenter de prédire l'orientation du marché en échange de points virtuels et de se constituer une communauté de joueurs. Mais la société n'exclut pas de passer à l'argent réel ultérieurement.

Bortot observe que seuls 5% des usagers de BUX ont sauté le pas du vrai argent mais la société facturera des frais supplémentaires de l'ordre de 89 centimes pour remplir un compte en monnaie virtuelle funBUX ou pour suivre des traders de première force sur internet.

Pour ceux désireux de passer du funBUX à l'argent réel, BUX facturera des commissions de l'ordre de 40 centimes par transaction, soit bien moins cher que les tarifs pratiqués par les courtiers en ligne de grandes firmes financières.

Certains s'interrogent sur l'avenir de ces sociétés, tandis que d'autres redoutent une banalisation du trading sur les marchés financiers.

"Nous sommes bien conscients que les deux marchés convergent mais nous séparons nettement le trading financier et le jeu", observe Shai Heffetz, directeur général d'InterTrader, propriété de la société de paris en ligne BWin.Party.

Pour autant, Susan Anthony, analyste du courtier Mirabaud Securities, pense que le jeu en vaut peut-être la chandelle. "Que ces choses deviennent des applications indispensables, voilà qui est difficile à dire mais il est pour moi évident que certains pourraient y développer une accoutumance".

(Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par Patrick Vignal)