Le FN en embuscade dans un scrutin-test pour Hollande et l'UMP

par Sophie Louet PARIS (Reuters) - La droite mise sur un vote sanction contre François Hollande aux élections municipales des 23 et 30 mars sans toutefois espérer "une vague bleue", mais elle devra compter avec le fort ancrage des édiles socialistes et les ambitions du Front national. Le niveau de l'abstention s'annonce déterminant dans un climat de défiance, voire de dégoût des Français pour le personnel politique, un phénomène en constante progression à même de favoriser le FN, selon les analystes. Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a appelé les "républicains" à faire barrage au FN qui a "ruiné les communes", un appel implicite au "front républicain" que l'UMP a rejeté. Les municipales, premier scrutin national après la présidentielle et les législatives de 2012, auront valeur de test pour François Hollande à mi-mandat en dépit des efforts du Parti socialiste pour dénationaliser les enjeux. Selon un sondage Ifop réalisé début janvier, 64% des Français voteront en fonction d'enjeux locaux, 25% pour sanctionner le gouvernement et 7% pour le soutenir. La fiscalité est le facteur qui comptera le plus. "La question qui se pose tient à l'ampleur du vote sanction et à l'inflexion de la politique gouvernementale qui pourrait en découler", selon une note de BNP Paribas, qui juge le scrutin "susceptible d'influencer le climat économique et le sentiment des marchés financiers". Dans une enquête CSA diffusée ce jeudi, la droite était créditée de 49% des intentions de vote au premier tour, contre 41% pour la gauche et 6% pour le Front national. En 2008, année faste pour la gauche alors dans l'opposition, les listes de droite avaient recueilli 48,4% des suffrages au premier tour, les listes de gauche 47,6% et les listes FN 1,1%. "Le meilleur score de son histoire, le PS l'a fait en 2008. Tout l'enjeu est de faire voter les nôtres avec l'argument: 'Ne faites pas de cadeau à la droite'", déclare-t-on à l'Elysée. "Attendre le résultat du scrutin pour dire quelle est la ligne serait très dangereux. La ligne est connue, elle ne changera pas après les municipales", souligne-t-on. "DES PETITS HOLLANDE PARTOUT" A l'UMP, on annonce sans détour la couleur: "Des petits Hollande partout, on n'en veut plus", lance Nadine Morano. Pour autant, la droite ne devrait pas capitaliser sur le rejet du pouvoir en place en raison d'une image fortement dégradée dans l'opinion par les querelles internes et les "affaires" et de la menace du Front national dans les villes moyennes, coeur de cible de l'UMP, disent les analystes. "On n'est pas sur une bipolarisation mais clairement sur un tripartisme, et le FN, qui malgré ce qu'on dit reste un électorat de droite, pourrait empêcher l'UMP de reconquérir beaucoup de villes", a dit à Reuters Frédéric Dabi, directeur adjoint de l'Ifop.Le parti d'opposition scrute les villes de plus de 9.000 habitants (près de 1.100 municipalités) où la gauche est pour l'instant majoritaire à 54,5% et compte inverser le rapport de forces en comptant notamment sur l'usure des pouvoirs locaux. "La gauche prendrait alors acte d'un énorme désaveu", estime Jean-François Copé, qui joue dans les urnes une part de son avenir à la tête de l'UMP. Le parti pense aussi avoir des chances dans des villes de 30.000 à 100.000 habitants tenues par la majorité, comme Reims, Angers, Saint-Etienne, Metz, Belfort, Valence, Rodez, Laval, Amiens, Tourcoing, La Seyne-sur-Mer... L'un des objectifs est d'augmenter le nombre de grands électeurs de la droite pour les élections sénatoriales de fin septembre (178 sièges à renouveler) et prendre le pouvoir à la Haute Assemblée. Même si des stratèges électoraux du PS mettent en garde contre un excès d'optimisme, la gauche pourrait limiter la casse en conservant une bonne part des villes conquises en 2008 voire en "conquérir de nouvelles" comme Avignon, Aix-en-Provence, Mulhouse, Nancy et Marseille, tenue par la droite depuis 1995. L'inquiétude de l'UMP et de ses alliés centristes est que les bénéfices d'une possible victoire soient anéantis par le maintien à gauche de villes-clés, comme Paris et Lyon, et, scénario catastrophe, la perte de Marseille. "En 2001, la droite avait conquis énormément de villes, mais on n'avait retenu qu'une chose, la perte de Paris", se souvient un responsable UMP. LE FN CROIT A SON "POTENTIEL ÉLECTORAL" Le PS dirige huit des 11 villes de plus de 200.000 habitants (Paris, Lyon, Toulouse, Nantes, Strasbourg, Montpellier, Lille, Rennes) alors que l'UMP n'en détient que trois: Marseille, Bordeaux, Nice. En 2008, où le vote sanction contre Nicolas Sarkozy avait pesé, le PS avait emporté 58% des 269 villes de plus de 30.000 habitants. "En 2008, le PS avait fait des scores spectaculaires. L'électorat de droite s'était plus démobilisé que le nôtre. Là, c'est l'inverse. On peut avoir des municipales très difficiles", note un ministre. L'UMP redoute qu'une abstention record (déjà spectaculaire en 2008 avec 66,5% de votants au premier tour et 65,2% au second) ne dope les scores du Front national et l'expose à des triangulaires et des quadrangulaires fatales qui sauveraient en retour la mise de sortants socialistes. Sous-représenté en 2008, le Front national présente 596 listes cette année et compte renouer avec les succès de 1995. Le parti, qui ne compte pour le moment qu'une cinquantaine de conseillers municipaux, espère en faire élire un millier et prendre la tête de mairies, notamment à Hénin-Beaumont (Nord), Tarascon (Bouches-du-Rhône), Saint-Gilles (Gard) ou Brignoles (Var). Selon des projections internes, il pourrait se maintenir au second tour dans plusieurs centaines de communes, le seuil de qualification ayant été abaissé à 10% des suffrages exprimés. "Dans dix à 15 villes, on a un potentiel électoral qui nous permet d’envisager une victoire", estime Marine Le Pen. Un responsable de l'UMP s'alarme: "Dans une vingtaine de villes, il y a deux ou trois points d’écart entre le FN et le PS ou l’UMP. Si deux points venant des électeurs du PS ou de l’UMP vont à l’extrême droite, le FN passe". La crainte que des digues sautent dans le Sud-Est, avec des alliances locales UMP-FN qui feraient fi des consignes des instances nationales, est vive. Se reposera alors immanquablement la question du "ni-ni" (ni Front national, ni front républicain) qui divise le parti d'opposition. Un bureau politique de l'UMP tranchera le dilemme lundi. (Avec Service France, édité par Yves Clarisse)