Le droit à l'avortement soumis à référendum en Irlande

Les Irlandais se rendent aux urnes ce vendredi pour dire par référendum s'ils souhaitent maintenir ou abroger une disposition constitutionnelle interdisant le droit à l'avortement. /Photo prise le 24 mai 2018/REUTERS/Clodagh Kilcoyne

par Padraic Halpin et Graham Fahy

DUBLIN (Reuters) - Les Irlandais se rendent aux urnes ce vendredi pour dire par référendum s'ils souhaitent maintenir ou abroger une disposition constitutionnelle interdisant le droit à l'avortement.

Le scrutin porte sur le 8e amendement de la Constitution, adopté en 1983, qui interdit la promulgation de toute législation sur le sujet et protège le "droit à la vie de l’enfant à naître" au même titre que celui de la mère.

Le droit irlandais a été modifié en 2013, avec la possibilité d'interrompre une grossesse mais dans le seul cas où la vie de la mère est en danger.

Les sondages tablent sur un succès des partisans du droit à l'IVG dans cette consultation que le Premier ministre, Leo Varadkar, a qualifiée d'"occasion unique pour toute une génération".

La participation en milieu d'après-midi était forte et si cette tendance se poursuit elle pourrait finalement dépasser les 60%, comme ce fut le cas lors du vote sur l'autorisation du mariage homosexuel en 2015, rapporte la chaîne de télévision publique RTE.

"Il ne faut rien considérer comme gagné d'avance mais je suis serein et confiant. Une forte participation, je pense, sera à l'avantage du 'oui'", a déclaré Leo Varadkar aux journalistes.

Naguère pays parmi les plus conservateurs d'Europe, l'Irlande, où le divorce n'a été légalisé qu'en 1995 au terme d'un référendum très serré, connaît ces dernières années une évolution rapide sur les questions de société.

Il y a trois ans, elle est devenue le premier pays au monde à avoir légalisé au suffrage universel direct le droit au mariage des couples homosexuels.

La campagne qui s'achève a également montré que l'Eglise catholique, jadis toute puissante, était désormais en retrait.

En 1983, la religion avait occupé une place centrale dans la campagne. L'éditorialiste Gene Kerrighan avait alors parlé d'une "guerre civile morale" entre les catholiques conservateurs et les progressistes libéraux dans un pays où l'avortement était une question taboue pour la plupart des Irlandais.

Cette fois, le débat a été largement pris en charge par les femmes qui ont décrit publiquement leur expérience personnelle de l'IVG.

3.000 IRLANDAISES AVORTENT CHAQUE ANNÉE EN GRANDE-BRETAGNE

Certains des 25 évêques du pays se sont certes engagés dans la campagne ces dernières semaines. Dans une lettre pastorale, Mgr William Crean, évêque de Cloyne, demande ainsi à ses fidèles de "ne pas être naïfs". "Ce qui est en jeu avec ce référendum, c'est un grand combat entre la lumière et l'obscurité, entre la vie et la mort", leur écrit-il, les invitant à "choisir la vie".

Mais Vicky Wall, militante anti-avortement, estime que les prêtres catholiques sont aujourd'hui difficilement audibles. Comment des hommes contraints au célibat pourraient-ils fixer leur ligne de conduite à des femmes ?

Les tracts qu'elle a diffusés durant la campagne ne mentionnent du reste qu'une seule fois la religion, pour expliquer précisément qu'"il n'est pas nécessaire d'appartenir à une confession religieuse pour convenir que la vie humaine doit être protégée".

La perte d'influence de l'Eglise se lit aussi dans le recul de l'appartenance (lors du recensement de 2016, 78% des Irlandais se sont déclarés catholiques contre 92% en 1991) et plus encore dans la pratique religieuse (de 81% en 1990, la fréquentation de la messe est tombée à 48% selon une enquête de la RTE en 2006).

Pour les partisans du droit à l'IVG, l'avortement est de toute façon déjà une réalité dans la société irlandaise. Chaque année, rappellent-ils, quelque 3.000 Irlandaises se rendent en Grande-Bretagne pour interrompre leur grossesse, d'autres se procurent des "pilules du lendemain" sur internet.

"Il s'agit d'une occasion qui nous est donnée de changer notre pays. Si le 'oui' l'emporte, l'Irlande restera la même, mais elle sera simplement un endroit avec un peu plus de compassion, de gentillesse et de compréhension", a souligné le Premier ministre.

Les bureaux de vote ont ouvert pour la plupart à 06h00 GMT, et leur fermeture est fixée à 21h00 GMT. Une première estimation devrait être publiée une heure plus tard par la RTE sur la base de sondages réalisés à la sortie des urnes. Mais le dépouillement ne commencera que samedi à 08h00 GMT et les premiers résultats officiels sont attendus samedi en milieu de matinée.

Le dernier sondage en date de l'institut Red C a mesuré dimanche les partisans du droit à l'avortement à 56% des intentions de vote contre 27% qui se disent hostiles à une modification de la Constitution et 14% se déclarant indécis.

(Avec Conor Humphries et Emily Roe; Henri-Pierre André et Guy Kerivel pour le service français)