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Le Charles-de-Gaulle, un porte-avions taillé pour la guerre et la diplomatie

Après 18 mois de travaux de modernisation, le porte-avions Charles-de-Gaulle a appareillé de Toulon pour une mission d’abord militaire en Méditerranée orientale avant un second volet plus diplomatique dans l’océan Indien. /Photo prise le 6 mars 2019/REUTERS/Jean-Paul Pelissier

par Jean-François Rosnoblet

A BORD DU CHARLES-DE-GAULLE (Reuters) - Après 18 mois de travaux de modernisation, le porte-avions Charles-de-Gaulle a appareillé de Toulon pour une mission d’abord militaire en Méditerranée orientale avant un second volet plus diplomatique dans l’océan Indien.

La silhouette élancée du navire - 260 m de long, 65 mètres de large et 75 m de haut - a quitté la rade toulonnaise, son port d’attache, pour rallier d'abord le large de la Syrie, où il est attendu en début de semaine prochaine.

Durant un mois, le groupe aéronaval, composé d’un sous-marin nucléaire, d’une demi-douzaine de bateaux et d’une vingtaine d'avions de chasse, s’intégrera dans la coalition internationale contre l'Etat islamique dans le cadre de l’opération Chammal.

"On est très proche de la chute du dernier bastion des djihadistes, mais il ne faut pas que Daech se reconfigure, il faut éviter les résurgences en Irak ou ailleurs", dit le contre-amiral Olivier Lebas, commandant du groupement aéronaval.

La formation vient apporter son soutien à la coalition qui œuvre à reprendre l'ultime territoire encore détenu par Daech dans le village de Baghouz, dans l’est de la Syrie.

La vingtaine de Rafale embarqués y joueront un rôle de reconnaissance et, si nécessaire de frappe d’objectifs.

"On sait que l’on est vulnérable et on ne se fait aucune illusion sur ce que nous fera l’ennemi si nous devons nous éjecter", note le capitaine de frégate Christophe, commandant à 43 ans du groupe aérien, 3.000 heures de vol au compteur.

Pour mieux se préparer à l’échéance du terrain, les pilotes souvent très jeunes multiplient les exercices et le ballet des Rafale anime jour et nuit le pont d’envol balayé par le vent.

"Le Charles-de-Gaulle peut catapulter un avion toutes les trente secondes et accueillir un appontage par minute", explique le capitaine de frégate Sébastien.

UNE "DIMENSION POLITIQUE"

Ce sont les "chiens jaunes" qui sont chargés de régler la chorégraphie des décollages et des appontages, guidant les pilotes de la voie et du geste. La manœuvre est millimétrée et le temps calculé à la seconde près.

De retour sur le mastodonte de plus 42.000 tonnes, les pilotes n’en ont pas souvent fini avec leur travail. Régulièrement ils doivent poursuivre l’entraînement sur le simulateur installé à bord du navire.

"On peut faire des exercices sur mesure pour eux, créer le spectre complet de leurs missions. C’est ici qu’ils font leurs gammes, comme sur un piano", affirme le premier maître Cédric.

L’objectif de cette première mission du porte-avions depuis son arrêt technique, un énorme chantier de rénovation à mi-vie de plus de quatre millions d’heures de travail, n’est pas seulement guerrier.

"C’est un outil militaire qui a aussi une dimension politique réelle", indique le capitaine de vaisseau Marc-Antoine de Saint-Germain, le "pacha" du navire à propulsion nucléaire.

Le deuxième volet de la mission doit conduire le groupe aéronaval vers l’océan Indien, via le canal de Suez, pour affirmer la priorité stratégique de l’axe indo-pacifique dans la politique étrangère de la France, dans le cadre du renforcement du partenariat militaire naval avec le Japon et l'Inde.

"Ces régions sont prioritaires car c’est par là que transite le flux commercial entre l’Asie et l’Europe, soit 40% du flux pétrolier et 80% du flux des containers", rappelle le contre-amiral Olivier Lebas. "A travers cette mission, la France montre sa puissance navale pour affirmer la liberté de naviguer sur les mers. Elle permet aussi de développer des partenariats stratégiques avec les acteurs clefs de cette région."

MANOEUVRES CONJOINTES

Des manœuvres conjointes avec les marines indienne et égyptienne figurent au programme du groupement aéronaval.

Le Charles-de-Gaulle est l’instrument de la diplomatie française pour ses priorités asiatiques, mais il est aussi un "message européen", comme l’a souligné la ministre de la Défense, Florence Parly, lors de son passage à bord.

"C’est une opportunité de taille de rapprocher nos armées sur le plan opérationnel", a-t-elle dit après avoir rappelé que le successeur du Charles-de-Gaulle, un porte-avions de nouvelle génération, était déjà en projet.

Un enjeu de taille à moins de trois mois d’un scrutin européen où la question de l'Europe de la défense devrait être largement évoquée. Dans une tribune diffusée dans les 28 pays membres de l’union européenne (UE), Emmanuel Macron a fait part de son souhait de voir l’UE se doter d’un "traité de défense et de sécurité", en lien avec l’Otan.

Des navires du Portugal, du Danemark, de l’Italie et du Royaume-Uni participent d’ailleurs au déploiement du Charles-de-Gaulle et de son escorte.

"C’est une pierre de plus à l’édifice de l’Europe de la défense", a dit Florence Parly, précisant que "le Brexit n’est pas un obstacle à une étroite collaboration de nos armées".

Tout est fait à bord pour faciliter la vie de l’équipage, dans un espace restreint, qui fonctionne jour et nuit. Dans les ateliers de maintenance il n’est pas rare que les 150 techniciens se succèdent, 24 heures sur 24, pour entretenir les aéronefs à l’aide du million de pièces de rechange chargées.

L’érosion liée à l’environnement salin est la principale difficulté pour l’entretien d’avions dont le prix catalogue à l’unité est compris entre 50 et 100 millions d’euros.

"Mais la vraie limite est celle de la résistance des hommes confrontés à des ambiances sonores et environnementales très pesantes", souligne le capitaine de vaisseau Boris, le commandant adjoint du pôle mécanique.

"NO FLY DAY"

Au-delà des rameurs et vélos de salle disposés sur les coursives qui dominent les hangars de maintenance, les 2.000 marins attendent avec impatience le "no fly day" pour parfaire leur condition physique.

Tous les 12 jours, l’équipage prend ainsi possession du pont d’envol déserté par les avions pour s’adonner au footing et autres activités de plein air.

Un luxe pour des marins confinés le plus souvent dans le ventre du monstre d’acier et qui ne voient finalement que très rarement la lumière naturelle.

"On est aussi là pour le soutien de l’homme", rappelle le lieutenant de vaisseau Franck, qui veille sur les 270 tonnes de vivres embarquées à bord.

Ce stock permet une autonomie de 45 jours avec un ravitaillement à la mer tous les dix jours pour récupérer les produits périssables et évacuer les déchets du navire.

A bord, tout le monde partage le même menu, du matelot à l’amiral. Les 5.700 repas quotidiens sont préparés dans les trois cuisines du bâtiment. Chaque jour, 400 kilogrammes de farine sont nécessaires, notamment dans la confection de quelque 1.900 baguettes de pain.

De la nourriture pour le bien-être physique des 2.000 marins, dont plus de 200 femmes, qui peuvent aussi faire appel à l’aumônier du bord pour une nourriture plus spirituelle.

"En fait, ce bateau n’appartient pas à son commandant, ni à son équipage mais aux Français. Nous n’en sommes que les dépositaires", conclut l’officier qui le commande et qui quittera son poste au retour de mission du Charles-de-Gaulle, un retour prévu à Toulon autour de la mi-juillet.

(Edité par Yves Clarisse)