Nouvelles violences à Bassorah, un couvre-feu imposé

Les responsables irakiens de la sécurité ont imposé un couvre-feu vendredi soir sur l'ensemble de la grande ville du Sud, Bassorah, où de violentes manifestations ont de nouveau eu lieu ces dernières heures. /Photo prise le 7 septembre 2018/REUTERS/Alaa al-Marjani

par Aref Mohammed et Raya Jalabi

BASSORAH, Irak (Reuters) - Les responsables irakiens de la sécurité ont imposé un couvre-feu vendredi soir sur l'ensemble de la grande ville du Sud, Bassorah, où de violentes manifestations ont de nouveau eu lieu ces dernières heures.

Les manifestations se sont succédé ces derniers jours à Bassorah pour protester contre la déliquescence des services publics, la corruption et les coupures d'électricité.

Jeudi, les protestataires ont pris d'assaut et incendié plusieurs bâtiments publics et les bureaux de la plupart des partis politiques, bloquant de nombreuses artères, mais aussi le principal port du pays, Oumm Kasr, par lequel transitent toutes les importations du pays, à 60 km au sud de Bassorah.

Un manifestant a été tué et 11 autres ont été blessés lors de nouveaux troubles vendredi à Bassorah, a-t-on appris dans la soirée de sources médicale et proche des services de sécurité.

"Les forces de sécurité arrêteront toute personne présente dans les rues", a prévenu le commandement des opérations de Bassorah concernant le couvre-feu. Afin de dissuader la population de manifester à nouveau, les autorités avaient annoncé déjà jeudi après-midi l'instauration d'un couvre-feu, avant d'y renoncer quelques minutes à peine avant son entrée en vigueur.

Les manifestants ont tourné vendredi leur colère contre l'Iran - et l'influence que ce pays exercerait sur les partis politiques irakiens. Les protestataires ont envahi le consulat d'Iran à Bassorah et l'ont saccagé, suscitant les protestations du ministère iranien des Affaires étrangères, qui a reproché aux autorités irakiennes de ne pas avoir protégé efficacement la mission diplomatique.

Des manifestants ont fait irruption en outre dans une usine de retraitement des eaux liée au gisement pétrolier West Qurna 2, géré par la compagnie Lukoil, où ils ont brièvement pris deux employés irakiens en otages avant de se retirer des lieux pacifiquement en fin de soirée, a-t-on déclaré de sources proche de Lukoil et des services de sécurité.

A Bagdad, le Premier ministre Haïdar al Abadi a réuni le conseil de sécurité nationale et précisé qu'une enquête était en cours sur les circonstances de la mort des manifestants.

Le principal dignitaire chiite irakien a réclamé quant à lui un changement de politique à Bagdad pour mettre fin aux violences, qui ont fait onze morts depuis le début de la semaine à Bassorah.

L'ayatollah Ali Sistani a imputé aux dirigeants irakiens la responsabilité de la détérioration de la situation dans le Sud et demandé que le futur gouvernement soit "différent de ses prédécesseurs".

"UN GOUVERNEMENT DIFFÉRENT"

Le Parlement issu des élections législatives du 12 mai n'a toujours pas réussi à s'entendre sur le nom de son président, préalable à la formation du gouvernement. Deux alliances chiites rivales revendiquent la majorité.

Dans son prêche de la grande prière du vendredi, l'ayatollah Sistani, qui est âgé de 88 ans, a condamné les violences contre des "manifestants pacifiques" et fait porter aux dirigeants irakiens la responsabilité de la corruption, de la pauvreté et du chômage.

La population de Bassorah, qui dépasse les deux millions d'habitants, se plaint notamment que l'eau courante devienne saumâtre. Des centaines de personnes ont été hospitalisées pour en avoir consommé.

"L'échec des dirigeants politiques irakiens des dernières années a provoqué la colère des habitants de Bassorah", a dit l'ayatollah Sistani dans ce sermon lu par un assistant.

"Ce fait ne pourra pas changer si le prochain gouvernement est formé selon les mêmes critères que les précédents. Il faut exercer une pression pour que le nouveau gouvernement soit différent de ses prédécesseurs", a-t-il insisté.

L'ayatollah Sistani intervient rarement dans les affaires politiques irakiennes et il ne se résout en général à le faire que lorsqu'il estime que la sécurité du pays est menacée - comme cela avait été le cas lors de l'offensive du groupe djihadiste sunnite Etat islamique en 2014.

Sa prise de position accentue la pression sur les partis politiques qui se déchirent pour le contrôle du pouvoir.

L'imam chiite Moktada Sadr, dont le parti est arrivé en tête aux législatives, a réclamé jeudi une réunion en urgence du Parlement - qui a suspendu ses travaux mardi faute d'accord sur le nom de son futur président.

Face à l'alliance constituée par Moktada Sadr et Haïdar al Abadi, le prédécesseur de ce dernier, Nouri al Maliki, et un chef de milices pro-iraniennes, Hadi al Amiri, revendiquent aussi le pouvoir à Bagdad.

(Avec Raya Jalabi; Guy Kerivel et Eric Faye pour le service français)