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Laurent Gbagbo acquitté par la Cour pénale internationale

La Cour pénale internationale (CPI) a acquitté mardi l'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et l'ex-chef des Jeunes Patriotes Charles Blé Goudé de toutes les charges pour crimes de guerre à leur encontre et ordonné leur libération immédiate. /Photo prise le 15 janvier 2019/REUTERS/Peter Dejong

par Stephanie van den Berg et Ange Aboa

LA HAYE/ABIDJAN (Reuters) - La Cour pénale internationale (CPI) a acquitté mardi l'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et l'ex-chef des Jeunes Patriotes Charles Blé Goudé de toutes les charges pour crimes de guerre à leur encontre et ordonné leur libération immédiate.

Le juge italien Cuno Tarfusser a précisé que l'accusation n'avait pas été en mesure de prouver la culpabilité des deux hommes qui, présents à l'audience, se sont donné l'accolade à l'annonce de la décision.

Laurent Gbagbo "est soulagé et heureux d'avoir placé sa confiance dans la justice", a dit l'avocat de la défense Emmanuel Altit. "Il est trop tôt pour parler de l'avenir et dire où il va aller mais vous pouvez imaginer combien il est attaché à la Côte d'Ivoire."

A Abidjan, les sentiments était contrastés.

"Comment peut-on libérer quelqu'un qui a tué nos enfants et nos époux ?", a demandé Salimata Cissé, une commerçante de 33 ans entourée d'une foule de femmes en colère.

Dans le camp des partisans de Gbagbo, la décision de la CPI a été au contraire accueillie dans la liesse.

"Oh la la ! Les juges ont abandonné toutes les charges", s'est réjoui Olivier Kipre en apprenant la nouvelle. "Je suis si heureux. Je vais devenir fou aujourd'hui. Je ne pensais pas qu'il serait libéré."

Fondateur du Front populaire ivoirien (FPI), Laurent Gbagbo était en détention depuis novembre 2011. Il va pouvoir quitter, peut-être dès mercredi, sa cellule de la prison de Scheveningen à La Haye.

La décision de la CPI y a été saluée par les cris de joie et les danses des quelques dizaines de ses partisans venus de Paris pour le soutenir.

Les avocats parisiens de l'Etat ivoirien ont en revanche déploré une décision "prématurée" et "surprenante à tous égards, qui pourrait s'avérer dangereuse" et "marque un désaveu de la communauté internationale".

"N'oublions pas qu'il y a eu 3.500 morts et victimes. Il y a donc bien eu des coupables", écrivent dans un communiqué Jean-Pierre Mignard, Jean-Paul Benoît et Pierre-Emmanuel Blard. "L'important est que Laurent Gbagbo reste à la disposition de la justice et peu importe les modalités", ajoutent-ils.

"Nous continuons à estimer que tous les moyens de droit prévus au Statut de Rome peuvent être utilisés pour que le procès reprenne dans l'intérêt de la justice et de la paix civile", poursuivent les avocats.

"IMPUNITÉ TOTALE" ?

La Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), dans un communiqué avec le Mouvement ivoirien des droits de l'homme (MIDH) et la Ligue ivoirienne des droits de l'Homme (LIDHO), estime que la décision de la CPI "consacre l'impunité totale désormais accordée aux auteurs de la crise post-électorale de 2010-2011 en Côte d'Ivoire, qui fit plus de 3.000 morts".

Amnesty International a également déploré l'issue de la procédure et ce qu'elle implique pour es victimes de la crise électorale tout en saluant le travail de la CPI.

"L'acquittement de Gbagbo et Blé Goudé est une cruelle déception pour les victimes des violences post-électorales en 2010-2011 en Cote d'Ivoire", a dit Amnesty sur son compte Twitter.

Laurent Gbagbo, 73 ans, et Charles Blé Goudé, 46 ans, étaient jugés depuis 2016 pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre, notamment meurtres, viols et persécution, au cours des violences post-électorales en Côte d'Ivoire entre décembre 2010 et avril 2011, lorsque Gbagbo avait refusé d'accepter sa défaite face à son rival Alassane Ouattara.

Lors du procès qui n'en était qu'à mi-chemin, les défenseurs de l'ex-président avaient souligné que si des crimes avaient bien été commis durant cette période, rien ne permettait d'en imputer la responsabilité à l'ancien chef de l'Etat.

La décision de la CPI marque un nouveau revers pour les procureurs internationaux.

En juin dernier, la CPI a ordonné la libération de l'ancien vice-président de la République démocratique du Congo (RDC) Jean-Pierre Bemba, dont la condamnation pour crimes de guerre avait été annulée en appel.

Par ailleurs, en 2015, les charges pesant sur le président kényan Uhuru Kenyatta ont été abandonnées.

En quinze ans, les procureurs de la CPI ont réussi à imposer leurs vues dans seulement trois procès pour crimes de guerre.

(Avec Toby Sterling à Amsterdam et Emmanuel Jarry à Paris; Jean-Stéphane Brosse et Guy Kerivel pour le service français, édité par Nicolas Delame et Henri-Pierre André)